Combats et métamorphoses d’une femme

Combats et métamorphoses d’une femme

Combats et métamorphoses d’une femme
Édouard Louis

De ce livre, j’ai commencé par penser « ce n’est pas de la littérature » et j’ai fini par me dire « c’est ça la littérature ». Étonnant, non ? J’avais déjà entendu parler d’Édouard Louis, un surdoué écorché vif, homosexuel issu de la classe ouvrière, sans n’avoir jamais rien lu de lui. Une mienne amie a déposé dans ma corbeille d’anniversaire ce petit opuscule (118 pages) que j’ai reçu en pleine figure comme un direct du gauche.

Certes, c’est un livre coup de poing, mais un coup de poing qui fait du bien. « Oxymorial », pourrais-je dire si la liberté d’inventer des mots m’est encore accordée. Du genre qui ouvre les yeux au lieu de les pocher. Quand on sort de la classe petite bourgeoisie (comme c’est mon cas) et qu’un garçon venu du monde ouvrier sans animosité vous raconte le quotidien de sa mère, forcément on est secoué. 118 pages bien aérées, aussi légères que ce poing qui file dans l’espace comme une fusée pour s’écraser sur notre conscience. Monique Bellegueule (c’est son vrai patronyme, ça ne s’invente pas), la mère d’Eddy, a failli vivre comme un zombie : études de coiffeuse avortées, enceinte trop tôt, deux maris alcooliques, cinq enfants dont un délinquant, un homo, une fille battue par son mari, un abruti des jeux vidéo, pas d’éducation, pas d’amis et « le Nooooord » ! Tout était réuni pour écrabouiller cette femme et la réduire à moins que rien du tout.

Louis, son garçon aux manières de fille n’a pas été le plus facile. Sa sensibilité et son intelligence lui ont fait sauter une classe. Ne vous méprenez pas sur le sens de cette phrase : il s’agit ici de classe sociale. Il est passé directement de la classe ouvrière à la classe bourgeoise. Celle où on utilise des mots simples, mais que la France d’en bas ne connaît pas : fastidieux, bucolique, laborieux, sous-jacent… Il n’en veut pas spécialement aux bourgeois d’être ce qu’ils sont. Il avoue même avoir tout de suite voulu devenir comme eux. Il cite aussi Roland Barthes : « Son rêve serait de transporter dans une société socialiste certains des charmes de l’art de vivre bourgeois… »

Ce bond d’un monde à l’autre l’a conduit à détester Monique parce qu’elle lui faisait honte. Mais, oxymorial en diable donc, il l’a tout de même aimée d’amour parce que c’était sa mère. Et il l’a admirée lorsqu’elle a flanqué son père à la porte, qu’elle est venue s’installer à Paris et qu’elle a enfin conquis ce petit bout de liberté auquel chacun a droit, mais dont tant sont privés. Oh pas grand-chose. Une vie partagée avec un gardien d’immeuble, le coiffeur, de nouvelles toilettes, quelques bijoux, la fierté d’être invitée dans de beaux restaurants par son fils et d’en profiter pour prendre du homard. Et, cerise sur le gâteau, le plaisir de griller une cigarette en compagnie de Catherine Deneuve, juste devant la loge. Oui, oui, c’est réellement arrivé, grâce à Eddy. Des mots vrais, une histoire ordinaire, le plein d’émotion. De la littérature, quoi…

jllb

Les commentaires sont fermés.