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L’assassin qu’elle mérite

L’assassin qu’elle mérite
Wilfrid Lupano — Yannick Corboz
Éditions Glénat- Vent d’Ouest

J’avance souvent à contre-temps en matière de livres. Je découvre les œuvres à mon rythme en suivant mes propres itinéraires de curiosité. Mes lectures sont, en ce moment, principalement tournées vers la période de la Belle-Époque parce que j’ai écrit deux biographies de femmes ayant vécu des destins peu communs dans l’entre-deux-guerres *, et parce que je travaille sur une troisième. Tout ce qui me plonge dans l’ambiance de ces temps de folie où la société changeait ses oripeaux du moyen-âge contre ceux de l’ère industrielle attire mon attention.

Par hasard, j’ai découvert quelques dessins de Yannick Corboz évoquant les lupanars que Toulouse-Lautrec avait si bien croqués et, en fouillant sur le net, j’ai trouvé cette série de quatre albums de BD, dont la parution s’est étalée entre 2010 et 2016 et dont le scénario coup-de-poing m’a tellement saisi aux tripes que j’ai dévoré l’ensemble en une matinée. L’œuvre est digne des meilleurs romans et aborde des thèmes assez chauds : l’antisémitisme profond, spécialement dans la société autrichienne, la tension entre les classes sociales avec l’enrichissement d’une partie de la bourgeoisie aux dépens d’un lumpen-prolétariat qui ne s’est pas encore organisé et enfin la dégénérescence de certains milieux face à l’art qui se cherche et explore de nouvelles voies.

Pour mettre tout ça en musique, Wilfrid Lupano a imaginé un scénario particulièrement bien ficelé et s’est appuyé sur le dessin de Yannick Corboz. Alec, un fils d’industriel richissime mène une vie décadente dans la Vienne de 1900, entre scandales, débauche et duels au petit matin. Il est à la recherche de sensations nouvelles et juge que les artistes adulés par les nantis sont des « tartouilleurs » et des « crétins présomptueux ». Il affirme que « la masse grouillante des pauvres se moque de l’art moderne comme d’une guigne » et que « cette forme d’art n’intéresse plus que l’élite ». Poussant sa réflexion, il prédit que « pour avoir une véritable force, l’idée artistique moderne devrait être véhiculée par un support adapté à son temps, accessible à tous ». Puis, emporté par cette idée que l’art doit être révolutionnaire et qu’il doit frapper là où cela fait mal, il imagine un plan diabolique : former un pauvre et le pousser à haïr la société pour devenir « l’assassin qu’elle mérite ».

Victor, fils d’ouvrier qui traîne sa misère sous l’autorité d’un père manchot et acariâtre, va faire les frais de ce projet malsain. Alec le prend sous sa coupe, le couvre d’argent, lui ouvre les portes du plus beau bordel de Vienne et lui fait goûter aux plaisirs raffinés de la grande bourgeoisie corrompue avant de lui couper brutalement les fonds et de le rejeter dans la fange. La réaction de Victor dépassera ses espérances : il va bientôt sombrer dans la délinquance, puis dans la criminalité et tomber sous la coupe d’un militant d’extrême-droite qui lui lavera le cerveau à l’antisémitisme et à la détestation des élites. Cette descente aux enfers le mènera de Vienne à Paris, la capitale qui vit dans l’effervescence de l’Exposition internationale. Victor y retrouvera Alec, son manipulateur qui fomente déjà un nouveau plan pervers, et dont il veut se venger. Si ce début de scénario vous met l’eau à la bouche, je vous encourage à découvrir la suite et je peux vous assurer que vous ne serez pas déçus…

En illustration : les couvertures des quatre tomes et une planche extraite de chacun d’entre eux.

* « Ce qu’ont dit au fumoir – L’affaire Henry de Lucenay », et « Maria Vérone, un destin féministe » aux éditions Panache (https://editions-panache.com/categorie-produit/nouveautes/ )

Minuit… place Pigalle

Minuit… place Pigalle
Maurice Dekobra
1925

Depuis vingt-cinq ans, Mr Prosper est sommelier au Flamant Rose, un restaurant de Pigalle qui reçoit le gratin de la bourgeoisie française et internationale. Il connaît le milieu de la prostitution de luxe et sait habilement rendre service à tout le monde, clients comme professionnelles. Affable, courtois, discret, efficace, chacun l’apprécie et on ne lui connaît aucun vice : il ne boit pas, ne flambe pas, n’a pas de maîtresse. L’heure de la retraite ayant sonné, Mr Prosper et son épouse, Louise, un gentil laideron qui tient les cordons de la bourse, se retirent à la campagne. Mais quelques mois plus tard, sa légitime vient à décéder et Mr Prosper s’ennuie si profondément qu’il décide de retourner à Paris du côté de Pigalle. Cette fois en tant que client bien décidé à profiter de la vie et de sa petite fortune accumulée au fil de sa sage existence. Bonne chère, jolies filles, il va lentement glisser sur la pente de la débauche. Mais jusqu’où cela va-t-il le mener ?

Ce roman de Maurice Dekobra, illustré de 12 hors-texte de Jean Oberlé est astucieusement mené, même s’il n’arrive pas à la hauteur de La Madone des sleepings. Les filles de Pigalle sont bien décrites et, sous l’apparence de la légèreté, elles ont presque toutes des projets de femmes rangées en tête. Un petit extrait pour vous mettre en bouche :

« Minoute était la vivante antithèse de la grande Charlotte. Les cheveux en vrille, jetés sur la tête comme une poignée de copeaux rouges, le nez retroussé et les yeux verts Nil, elle était vraiment drôle quand elle bavardait tout son saoul.

Mr Prosper connut avec elle des voluptés qu’il ne soupçonnait pas. Quand il eut repris ses sens, il la saisit par ses hanches d’androgyne, l’assit à cheval sur son torse, comme un golliwog* désarticulé et la questionna.

— Moi, mon cher, dit-elle en tapotant ses jeunes espoirs, ma conception de la vie est aussi nette qu’une paire de claques. Je veux turbiner jusqu’à trente ans, mais là, tu sais, en mettre un bon coup pour faire mon beurre. Et puis quand j’aurai des pépètes, je m’achèterai un fonds de confiserie à Bordeaux ou à Marseille et j’épouserai un cuistot à la hauteur qui travaillera dans le marron glacé… On me prend pour une petite crevette qui ne pense qu’à gigoter en long en large et en quinconce… Eh bien, mon cher, les camarades se mettent le doigt sans l’œil jusqu’au tibia. »

* Le golliwog est une poupée de chiffon qui représente une personne noire aux cheveux crépus.

Le geste de Phryné

Le geste de Phryné
Maurice Dekobra
1930

Passé les premières 40 pages que Maurice Dekobra consacre à « La pudeur considérée comme un des Beaux-arts » et qui s’avèrent plutôt barbantes (hormis le passage contant l’histoire de Phryné, la belle courtisane accusée de luxure et que son avocat dénuda devant ses juges pour montrer à quel point sa beauté était divine et sacrée), le reste est un ensemble de petites nouvelles assez jouissives sur le thème des amours exotiques. On voyage principalement en Europe (amours berlinoises, viennoises, hongroises, napolitaines, scandinaves, néerlandaises, britanniques et slaves), mais aussi en Égypte et en Amérique. Certaines sont excellentes, souvent coquines (ah ! la fameuse « frau Mazzoch », experte en gentillesses sexuelles diaboliques), d’autres plus plates, mais comme elles sont toutes courtes, on n’a jamais le temps de s’ennuyer. Et puis, Maurice Dekobra, grand voyageur devant l’Éternel, a du style et du vocabulaire. Extrait :

« Ralph et moi, nous avions dîné à la table de Muriel. Elle avait fait une entrée théâtrale dans la salle à manger du paquebot. Trois sautoirs de perles d’un orient unique tournaient autour de son cou gracile et tombaient en cascade irisée sur la pâleur éburnéenne de sa robe. Un serre-tête composé de saphirs et de brillants alternés emprisonnait ses boucles rebelles et une cataracte de bracelets moulait la fragilité de ses poignets. »

La (première) classe, non ? Et pour ceux qui se demandent ce que signifie « éburnéenne », il s’agit d’un adjectif qui qualifie la couleur ou la consistance de l’ivoire.

J’ajoute une remarque à propos de Dekobra. Ce recueil est paru en 1930 et il contient une nouvelle intitulée « Un drame passionnel ». Le pitch : Simone Lecastor est accusée d’avoir tué son mari, mais grâce à une plaidoirie exemplaire, elle est acquittée. Le baron de Winterswick la contacte et lui propose de l’épouser. À la recherche de sensations nouvelles, et persuadé qu’elle est coupable, il plaît au baron de dormir à côté de celle dont il pense qu’elle peut l’étrangler chaque nuit. Quelques mois passent et il advient que le véritable assassin est découvert. Aussitôt déçu, le baron demande le divorce.

Or, en 1910, Jeanne Landre (qui était amie avec Dekobra) a publié exactement la même histoire, avec d’autres noms de personnages, dans « Contes de Montmartre et d’ailleurs » sous le titre « Le vrai crime ». Nouvelle qu’elle a reprise et délayée en 1931 pour en faire un mini roman de 80 pages publié aux éditions Rouff, toujours sous le titre « Le vrai crime ». (Il faut vraiment être zinzin comme moi pour repérer ce genre de plagiat littéraire…)