Le fanal bleu
Colette
Un trésor, vous dis-je. Ce livre de Colette, glâné jeudi dans un vide-grenier, sur la pelouse du château de la Cerise à quelques encablures de Jégun, ce livre donc est un trésor. Pas tant parce qu’il s’agit d’une édition originale numérotée acquise au prix faramineux d’un euro, mais parce que ce texte est le dernier publié par l’écrivaine. Et, mazette, quel texte !
Pour ses adieux (involontaires, mais pressentis) à la plume, elle nous offre un bouquet de fleurs qu’aucun horticulteur, fût-il surdoué, ne saurait composer avec autant de talent. Ni journal ni biographie ni roman, mais un peu de tout cela. Colette parle ici de tout et de rien : de ses chats, de ses chiens, de ses amis, des fleurs, des plantes, avec un art consommé de l’écriture. Passé soixante-quinze ans, cette femme intelligente et cultivée n’a rien perdu de sa vivacité d’esprit, de ses regards aigus sur le monde qui l’entoure. Elle dédie la richesse de son vocabulaire alliée à la complexité de son génie littéraire aux choses simples de la vie : des enfants qui jouent, un gamin qui pleure, une chatte jalouse, un marchand de bijoux… Elle dresse un portrait incroyablement amoureux de l’actrice Marguerite Moreno. Elle a des mots de tendresse pour Jean Marais, Jean Cocteau et bien d’autres qui l’ont entourée.
Et puis, au-delà des fils qui la relient aux humains, c’est tout son rapport à la nature qu’elle nous propose de partager. Les fleurs rares, comme cette « pentstemo » arrachée au jardin de la tour Eiffel, les « convolvulus bleus » et le « pourpier à quatre couleurs » ou les plants de jasmin « troussés en javelles ». On se régale, on déguste, on se fiche qu’il n’y ait dans ce récit aucune ligne conductrice. On la suit sur ses chemins de traverse, ses anecdotes si bien troussées. Son univers de mots en dentelle.
Un trésor, vous dis-je, en guise de viatique.