Laëtitia
Ivan Jablonka
Laëtitia Perrais, violée, assassinée et dépecée dans la nuit du 18 janvier 2011.
J’ai remarqué que j’utilisais souvent l’expression « chemins de traverse » pour exprimer le fait que je trouvais mes lectures dans des vide-greniers. Je veux dire par là que je ne cherche pas à coller à la mode et à acheter systématiquement la dernière nouveauté en matière de littérature. Ça peut m’arriver, mais c’est plutôt rare. Pour deux raisons. D’abord, j’aime bien laisser « mûrir » les livres. Si un titre est encore en librairie un ou deux ans après sa sortie, il y a des chances qu’il soit intéressant. Ensuite parce que j’ai tendance, en ce moment, à plutôt m’intéresser à la production qui concerne l’époque de la 3e République. Mais, comme vous avez pu le constater, je ne m’interdis rien et si un titre me plaît, quel que soit son style ou son époque, hop, il tombe dans mon escarcelle.
Voici donc comment le livre « Laëtitia » d’Ivan Jablonka est
arrivé entre mes mains. Un mien ami m’a conseillé récemment de regarder la
série « Le bureau des légendes » produite par Canal Plus. Je me suis enfilé les
cinq saisons en deux semaines. Une histoire d’espionnage à la française plutôt
bien ficelée avec de très bons acteurs : Jean-Pierre Darroussin (lui je l’adore),
Mathieu Kassovitz (très bien), Léa Drucker (parfaite) et Sara Giraudeau (la
fille de…). Cette dernière joue le rôle de Marina Loiseau, une sismographe
sortie de Polytechnique et recrutée par la DGSI pour différentes missions. Elle
se retrouve un coup en Syrie, une autre fois en Iran ou encore en Russie. On la
voit souvent dans des chambres d’hôtel et, lors d’une séquence, un livre est
posé sur son lit : « Laëtitia ». Il n’y a pas spécialement de gros plan sur
la couverture. Le réalisateur ne cherche pas à le mettre en avant, mais mon œil
l’enregistre et ma curiosité fait le reste. De quoi s’agit-il ? Que lit Marina
Loiseau ? Je veux savoir.
Je googlelise le titre, je trouve le livre je le commande. Il est sorti en 2016
et a obtenu le prix Médicis. Jablonka est un historien. Laëtitia est une
enquête sur le meurtre de Laëtitia Perrais, assassinée dans la nuit du 18 au 19 janvier
2011 par Tony Meilhon. On connaît la victime, on connaît l’assassin, on connaît
l’histoire qui a fait les gros titres des journaux. Alors pourquoi un livre de
400 pages sur le sujet ?
Parce que Jablonka s’est mis en tête de réhabiliter Laëtitia Perrais. Dans ce genre de fait divers, explique-t-il, c’est toujours l’assassin qui est mis en avant. D’ailleurs, quand on tape son nom sur Google, on arrive directement sur la fiche Wikipedia de Tony Meilhon (ça a changé depuis qu’il a écrit le livre). Sa démarche est donc de comprendre la vie de Laëtitia de sa naissance jusqu’à ses 18 ans. Il va s’attacher à rencontrer tous ceux qui l’ont connu : sa sœur jumelle Jessica, son père Franck (déchu de ses droits de parentalité parce qu’il cognait sa femme), sa famille d’accueil, les Patron (dont le père sera lui aussi condamné et emprisonné pour avoir violé Jessica), les avocats, les juges, les procureurs, les journalistes. Il mène une enquête exhaustive avec pour but de redonner sa dignité à Laëtitia (violée, étranglée, assassinée à coups de couteau, découpée et jetée dans un étang par Meilhon). Il analyse la trajectoire de chacun pour retracer ce qui a pu les mener à cette nuit terrible.
Mais il va plus loin en montrant comment l’affaire a été
utilisée par les médias et les hommes politiques, en particulier Nicolas
Sarkozy qui a sauté sur l’occasion pour attaquer violemment l’institution
judiciaire. Bref il ne néglige aucun aspect : c’est fouillé, détaillé et
parfois redondant. Mais on ne peut qu’être admiratif du travail fourni et de l’angle
choisi : mettre un peu de lumière sur l’histoire de la victime.
Au passage, je rappelle que depuis le début de l’année 2019, une soixantaine
de femmes sont mortes sous les coups de leurs maris, de leur ex ou de détraqués…