Autobiographie d’un lecteur

Autobiographie d’un lecteur

Autobiographie d’un lecteur
Pierre Dumayet
Fayard

Ce livre est un livre de journaliste. Il n’invente pas, il raconte. Et Pierre Dumayet a des choses intéressantes à raconter puisqu’il a été tour à tour reporter, scénariste (au cinéma et à la télévision), producteur, réalisateur… et même acteur. Pour mémoire il a à son actif quelques émissions prestigieuses : « Lecture pour tous » (1953), « Cinq colonnes à la Une » (1959), « Lire c’est vivre » (1984), « Lire c’est écrire » (1992). Et le scénario de quelques films : « Mourir d’aimer » (1971), « Il n’y a pas de fumée sans feu » (1973) et « L’argent des autres » (1978).

Deus ex machina
Dans cette « Autobiographie d’un lecteur » écrite en 2000 (onze ans avant sa mort), Dumayet revient sur sa carrière et sur ses lectures qui l’ont passionné. Grand fan de Flaubert il lui consacre un certain nombre de pages, en particulier au roman « Madame Bovary ». N’étant pas (encore ?) flaubertien, cela m’est passé un peu au-dessus de la tête. En revanche Dumayet décrit avec une certaine verve ses anecdotes de tournage, ses souvenirs de lecteur et ses interrogations. Tout comme Bober*, son ami et partenaire/réalisateur, il se demande si l’on peut « aimer un personnage fictif ». La question peut paraître anodine, mais elle fait sens. Lisant ce passage, j’avais envie de lui faire remarquer que la religion fait des ravages depuis des lustres et que le personnage de Dieu n’existe que dans les saintes Écritures et dans le crâne de ceux qui y croient. D’ailleurs, dit-il en citant l’écrivain Bussy-Rabutin : « Les personnes fictives sont priées de se tenir tranquilles. Elles ne doivent pas se prendre pour exemplaires. Elles peuvent faire semblant de vivre et d’aimer, mais en deçà des personnes réelles. Car les personnes fictives sont des créations de l’homme ; elles ne sont pas des créatures de Dieu. Et Dieu ne doit pas être concurrencé par les écrivains. » Justement, j’aime beaucoup l’idée de l’écrivain « Deux ex-machina », concurrent de Dieu et, dans cette expression, la machine est bien entendu la machine à écrire.

Radio arabe ?
Dumayet a longtemps travaillé à la radio. J’ai été étonné d’apprendre (mais il ne dit pas quand et sur quelle radio… sans doute avant la guerre) se tenait, en France, une émission quotidienne en langue arabe de 12 h à 12 h 30. J’ai cherché, mais je n’en ai pas trouvé trace. Est-ce que cela pourrait se refaire aujourd’hui sur une radio publique ? Je n’ai pas la réponse.

Je relis si je veux !
À propos des livres qu’on relit ou pas, je n’aime pas son point de vue tranché : « Relire est aussi naturel qu’aimer. Les personnes qui n’aiment pas relire les livres qu’elles ont aimés me font penser à un fat qui dirait d’une femme : je l’ai déjà lue ». Cette comparaison me semble idiote même s’il est souvent plein de bon sens par ailleurs.

Se damner pour un sein
Dumayet se rend un jour à la galerie Maeght (il est emmerdant, car il ne donne pas les dates) et fait la connaissance de Marguerite et Aimée Maeght avec qui il deviendra ami. Il évoque l’exposition de 1947 que la galerie consacra aux surréalistes. « Le catalogue était orné d’une paire de seins en relief. Je ne sais plus : peut-être n’y avait-il qu’un sein. Mais en relief. Ça, j’en suis sûr ». Mon Dieu ! Un sein ! Je dois voir ça. J’ai cherché ce catalogue sur le net. Il y a une photo sur le site de la fondation Maeght. Il a l’air superbe. On le trouve d’occasion sur eBay à des prix variant entre 500 € et 1000 €. Outch…

Les petites choses
Dumayet sait s’arrêter aux petites choses qui peuvent sembler sans importance, mais qui sont parfois lourdes de signification. Ainsi lorsqu’il interviewe le Shah d’Iran, il remarque une photo du monarque sur le mur derrière lui et à côté : un clou. À ce clou était accroché la photo de Soraya, l’épouse du Shah, mais ils venaient de divorcer tout récemment. Dumayet regretta longtemps de ne pas avoir fait de gros plan sur ce clou si significatif.

Au final, ce livre foutraque, mais bien sympathique vaut surtout (pour moi) en ce qu’il ouvre des pistes vers d’autres auteurs, dont deux que je ne connaissais pas et dont je vous reparlerai sans doute bientôt : Amos Tutuola et Jean Rhys. Affaire à suivre…

* C’est le livre de Robert Bober, offert par mon amie Nathalie Tessier (https://jeanlouislebreton.com/?p=3062) qui m’a orienté vers le livre de Dumayet…

jllb