Cora dans la spirale
Vincent Message
Seuil
On juge souvent les objets selon leur rapport qualité/prix ou qualité/poids. J’ai parfois l’impression qu’on pourrait juger les livres selon leur rapport nombre de pages/intérêt du sujet.
Dans le cas du roman de Vincent Message,
le sujet est très intéressant. Il s’agit du parcours d’une femme dans sa vie
privée et professionnelle. La seconde prenant le pas sur la première, elle
finit par s’enfoncer dans une « spirale » infernale jusqu’à toucher le
fond. Pour ceux que ça intéresse, je divulgâche plus bas l’histoire de Cora Salme.
Le problème est que l’auteur s’étale sur 458 pages très condensées pour traiter
son sujet. C’est sans doute ce qui plaît à ses aficionados : cette
capacité à faire évoluer l’intrigue lentement, à fouiller les détails, à partir
dans des digressions sensées nourrir le récit et approfondir le profil des
personnages. Il le fait plutôt bien. Il fait le job. Il assure. Sauf pour moi.
En effet, je considère que ce rapport nombre de pages/intérêt du sujet est
totalement déséquilibré. 200 pages auraient largement suffi à développer cette
intrigue. Donc c’est long, ça diverge, ça blablate et ça se perd dans des
chemins qui ne mènent nulle part et qui font retomber l’engouement du lecteur
(en tout cas le mien). En ce qui concerne l’écriture, c’est du français correct,
mais je n’y trouve aucun style. Pas de vocabulaire riche, pas d’envolée
lyrique, ça reste plat. On est plus au niveau de la rédaction que de la dissertation.
Du coup, difficile de se mettre en empathie avec les personnages. En lisant Vincent
Message, je pensais à Éric Vuillard (Goncourt 2017) auteur de « 14 juillet »
et de « L’ordre du jour », deux récits très courts, mais tellement forts
et tellement stylés que son livre paraît être une soupe à l’eau distillée en
regard de ces chefs-d’œuvre de la littérature.
Je suis donc partagé, parce que le récit est tout de même touchant. Il démonte
les subtils, mais implacables mécanismes psychologiques d’écrasement d’un individu
au sein d’une entreprise. Il montre aussi comment une société d’origine familiale
et patriarcale (pas forcément le meilleur modèle) peut dériver lorsqu’elle est
rachetée par des actionnaires uniquement motivés par leur profit immédiat
(encore pire) et qui, pour arriver à leurs fins, instaurent une sorte de dictature
soft, de nazisme édulcoré au sein de la boîte, avec petits caporaux et nervis
de services à visage humain. Cette dénonciation par l’exemple est louable… pour
qui a le temps d’ingérer ces 458 pages (je suis une exception, je lis très
vite). C’est donc long, très long.
Que dit Vincent Message lui-même (page 269) : « Je rêve d’un monde où on se raconterait les vies humaines les unes après les autres, avec assez de lenteur, d’incertitudes et de répétitions pour qu’elles acquièrent la force des mythes ». Sur ce plan, c’est réussi : son récit est lent, hésitant, répétitif. Puis il avoue (page 360) : « Voici l’heure où je n’ai plus le choix : l’heure de raconter, même si cela va être difficile, ce qui s’est passé ce mois de juin ». (Ah ben, dis donc, depuis le temps qu’on attend…). Et enfin (page 450), il finit par reconnaître : « Me voici parvenu au bout de ce que je voulais vous raconter. J’ai pris mon temps, parce que ces histoires-là ne se résument pas à leur grandes lignes ». Ah non ! pas d’accord Vincent Message. Vous avez peut-être pris votre temps, mais vous avez aussi pris le nôtre. Quant à l’histoire en question, je la résume en quelques grandes lignes ci-dessous, ne vous en déplaise.
En place pour le divulgâchage.
Stop ou encore ? Attention divulgâchage !
Ceux qui ne veulent pas en savoir plus sont priés de quitter cette chronique, les autres : vous êtes prévenus, je vais tout dire.
Cora Salme, donc, aurait aimé être photographe. Son histoire nous est racontée par Mathias, un journaliste qui s’intéresse à un fait divers dont on ne connaît pas encore la teneur, mais qu’il se propose de nous révéler (il faudra tout de même attendre la page 360).
Cora vit avec Pierre, ingénieur et ils sont parents d’une petite Manon. La jeune femme met de côté ses rêves et postule une place au service marketing chez Borelia, vieille maison d’assurances. Elle y vit heureuse pour un temps avec, pour chef de service, Édouard dont elle devient la maîtresse. Mais la boîte est rachetée par un gros groupe. Un nouveau directeur est nommé qui doit secouer le cocotier et rentabiliser l’affaire. Édouard est dégagé et remplacé par Franck qui va mettre Cora sous pression. On fait aussi appel à un cabinet d’audit extérieur, en la personne de Delphine, pour tailler dans le vif et restructurer la boîte. Delphine est implacable… Elle est aussi lesbienne, séduit Cora et l’aide par conséquent à se maintenir en place. Jeu trouble. Sa mission achevée, elle quitte l’entreprise et Franck reprend plus que jamais ses pressions sur Cora. Tant et si bien qu’un soir elle craque, tombe dans le métro, se blesse. Un émigré malien, Maouloum, la ramasse, avec qui elle va devenir amie. Maouloum, artiste dessinateur, rêve d’obtenir un visa de réfugié politique. Il est aidé par Cora et Pierre. Mais sa demande est retoquée : il se suicide. Cora demande à Franck une journée pour aller aux obsèques du Malien, ce qu’il lui refuse. Maouloum n’est pas un membre de la famille… Furieuse et déstabilisée, elle décide de passer outre quitte à flanquer sa démission à son boss. Le lendemain matin, elle se dépêche de déposer sa fille Manon chez la nounou mais, stressée, elle l’oublie dans la voiture. C’est l’été, chaleur d’enfer : la gamine meurt de déshydratation (pas trop crédible ce passage). Double procès : le premier contre Cora accusée de négligence, condamnée, mais dispensée de peine. Le second contre Franck, son directeur de service, accusé de harcèlement et acquitté pour manque de preuves (sa parole contre celle de Cora).
La vie reprend avec Pierre. Un nouvel enfant va naître, il s’appellera Mathias. On comprend (coup de théâtre) que c’est le nom du journaliste qui a mené et raconté l’enquête sur l’histoire de sa mère depuis le début du récit. Point final et terminal. J’ai fait long, mais vachement moins que l’auteur.