Crève, Ducon !

Crève, Ducon !

Crève, Ducon !
François Cavanna
Gallimard

N’allez pas vous choquer. Ce « Crève, Ducon ! » de Cavanna n’est pas adressé au lecteur, mais à lui-même, au moment de mourir. Ce livre publié à titre posthume (Cavanna est mort en 2014) met un point final à son œuvre et se conclut par un petit texte plein d’amertume sur le temps qui passe. Mais ce sont à peine deux pages sur les deux cent trente que contient cet ouvrage. Le reste, constitué de courts récits anecdotiques est une ode à la vie, pleine de la sensibilité bourrue et extrêmement touchante du vieux rital anar. Difficile de faire plus tendre que lui. Mélangeant passé et présent, il évoque sa jeunesse, son enfance parmi les immigrés, sa passion de la lecture, ses potes d’Hara-Kiri et de Charlie, son travail d’écrivain. Et puis on en arrive à sa maladie, la fameuse « Mademoiselle Parkinson » qui lui tord les mains, les pieds et lui rend la vie impossible. Ses colères d’enfant intérieur face à ce corps qui se dégrade et qui le lâche. Et, au milieu de cette décapilotade inexorable, il y a Virginie, sa petite secrétaire, dont il est amoureux, à quatre-vingt-sept ans, et dont il parle si bien que nous le sommes aussi. Une lumière dans la pénombre qui s’installe, une flamme de bougie qui vacille. Elle va l’accompagner jusqu’au bout. Il l’aime comme une femme et comme sa fille. Elle le vouvoie, il la tutoie. Elle le secoue, le force à avancer, elle pleure en tapant ses textes qui l’émeuvent… D’autant plus qu’il parle d’elle et qu’il la fait parler : « J’aimerais écrire comme ça… Et pis non, j’aime mieux lire. Quand on l’a écrit, on n’a plus la surprise. Quand on le lit, on se dit qu’on le relira autant qu’on voudra, qu’on pleurera chaque fois de trop beau parce que, forcément on oubliera, qu’est-ce que c’est bon, et vrai, surtout quand ça parle de moi. Je trouve que vous me connaissez bien, non, mais c’est vrai, mieux que moi-même, surtout mes qualités, quand je vous lis je trouve que vous m’avez fait connaître des qualités que je savais pas que j’avais. Pour les défauts, vous exagérez quand même un petit peu, mais on sent que vous m’aimez bien. Ce qu’il y a, c’est que vous n’êtes pas méchant. Pas assez ». C’est un amour impossible, il le sait, mais c’est un amour tout de même.

Deux cent trente pages de souvenirs, d’émotions, de copains : le pharmacien, Carmen la concierge, Choron, Reiser, Delfeil de Ton et tant d’autres. Une ribambelle de tendresse sans une once de mièvrerie. Cavanna, tu nous manques, Ducon…

jllb