Dans la série femmes extraordinaires, aujourd’hui : la duchesse d’Uzès

Dans la série femmes extraordinaires, aujourd’hui : la duchesse d’Uzès

Un sacré numéro que cette duchesse d’Uzès (1847-1933) née Marie Adrienne Anne Victurienne Clémentine de Rochechouart de Mortemart (reprenez votre souffle). Elle descendait en droite ligne de la famille des Cliquot-Ponsardin, propriétaire du champagne du même nom. C’est dire qu’elle était à la tête d’une conséquente fortune et qu’elle put mener une existence joyeusement pétillante.
De santé fragile dans son enfance, elle récupére assez vite pour devenir une adulte solide et intrépide qui vécut jusqu’à l’âge de 85 ans. Elle épouse Emmanuel de Crussos d’Uzès avec qui elle a deux garçons et deux filles. Son mari, sorti de Saint-Cyr, lieutenant de hussards, devient en 1871 député d’extrême droite et meurt jeune, en 1878, laissant à la duchesse la charge d’élever ses rejetons (dont l’aîné, au grand dam de sa mère, se jette dans les bras de la très belle et sulfureuse comédienne Émilienne d’Alençon, réputée pour la légèreté de sa cuisse).
De son mariage, elle garde des idées royalistes et dépense beaucoup d’argent pour tenter de rétablir la monarchie. Elle finance en partie le général Boulanger (un autre Saint-Cyrien), pensant qu’il favoriserait le retour du duc d’Orléans sur le trône de France. Mais l’affaire fait « pschitt ». Boulanger, condamné en 1889 pour complot contre la sécurité intérieure, s’enfuit en Belgique et se suicide sur la tombe de sa maîtresse, Marguerite de Bonnemains.

Un tantinet anarchiste
Certes royaliste, la duchesse est aussi un tantinet anarchiste, ce qui en fait un personnage complexe et inclassable. Aussi étonnant que cela paraisse, elle devient l’amie de Louise Michel, la célèbre communarde exilée en Calédonie, lors de son retour de déportation. Elle finance l’éducation de Sidonie Vaillant, la fille d’Auguste Vaillant, anarchiste condamné à mort pour avoir lancé une bombe dans la Chambre des députés le 9 décembre 1893. Enfin, elle se donne sans compter pour aider les marins bretons dans la mouise et organise en 1903 une journée de l’élégance et de la dentelle à leur profit. Voilà qui donne une petite idée de son caractère.

À fond les manettes
Mais son originalité ne s’arrête pas là. La duchesse adore le progrès et s’entiche d’automobile. Non pas pour se faire conduire par un laquais, mais pour tenir elle-même le volant. On dit qu’elle fut la première femme à passer le permis (qui s’appelait à l’époque « certificat de capacité »), en tout cas, elle fut la première à être verbalisée pour excès de vitesse : à fond les ballons dans le bois de Boulogne, elle écopa d’une jolie prune pour avoir roulé à 15 km/h, soit largement au-dessus des 12 km/h autorisés !L’Automobile Club de France étant fermé aux femmes (machisme oblige), elle crée avec son amie Camille du Gast l’Automobile Club Féminin en 1926. Camille du Gast, surnommée « la Walkyrie de la mécanique », première femme pilote de course, passionnée de vitesse, adore également les animaux et sera présidente jusqu’à la fin de sa vie de la Société Protectrice des Animaux. La duchesse d’Uzès, qui supporte aussi la cause animale, adhère à la SPA, mais s’en fait éjecter parce qu’elle pratique assidûment la chasse à courre.

Pendant la Première Guerre mondiale, Anne d’Uzès préside l’association qui crée des centres de soins mobiles, à savoir des camions pour les équipes chirurgicales équipés de blocs opératoires et de matériel de radio. Puis, elle consacre une partie de son temps et de son argent à la protection des veuves et des orphelins. Bref, un grand cœur noble.
Ajoutons qu’elle aimait taquiner le pinceau et le ciseau de sculpteur, et que ses œuvres furent saluées au Salon des artistes français. Elle s’éteint au château de Dampierre le 3 février 1933.

Royaliste, sympathisante anarchiste, automobiliste féministe, la duchesse d’Uzès fait partie de ces personnalités exotiques auxquelles il est inadéquat de coller une étiquette. Bien que née avec une cuillère en argent dans la bouche, elle a vécu sa vie en dehors des canons de sa caste. Eût-elle été issue de la plèbe, peut-être aurait-elle fait le coup de feu sur les barricades aux côtés de Louise Michel ? Allez savoir.

jllb

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