Et on tuera tous les affreux

Et on tuera tous les affreux

Et on tuera tous les affreux
Vernon Sullivan — Boris Vian

Ah ah, on retrouve l’esprit potache de Boris Vian dans ce polar écrit en 1948 (il avait juste 28 ans). Il commence par une bonne blague : nous faire croire qu’il a traduit de l’américain un roman écrit par « Vernon Sullivan », pseudonyme inventé pour la circonstance. Et il y met le ton, l’ambiance et les noms des personnages : Rock Bailey (le héros et narrateur), Gary Killian, Clarck Lacy, Douglas Thruck, Mike, Andy. Et les filles : Sunday Love, Beryl Reeves, Mona Thaw, Berenice Haven, etc., on y est, on s’y croit. Enfin on ne s’y croit pas très longtemps parce que le scénario est à coucher dehors, digne des séries B, genre « Cigarettes, whisky et p’tites pépées » avec Lemmy Caution (l’épatant Eddy Constantine) héros de mon début d’adolescence. Qu’importe, on se laisse porter par cette foldinguerie, pas si dingue comme on va le voir.

Rock Bailey, jeune détective âgé de 20 ans, baraqué comme monsieur Propre et beau comme un dieu grec s’est fixé un objectif : rester puceau jusqu’à ses 21 ans. Mais les filles tournent autour de lui comme des mouches près d’un pot de miel. Sa réputation de futur bel étalon est telle qu’il se fait kidnapper par une bande d’affreux jojos qui veulent l’obliger à faire l’amour avec une jolie fille. Comme il refuse, on se débrouille pour l’attacher et lui tirer sa substantifique moelle. (Comprenez qu’on lui fait subir une masturbation à son corps défendant). Libéré, Rock et ses copains se lancent dans une enquête pour comprendre ce qui lui est arrivé. Ils ne vont pas tarder à arriver sur la piste d’un certain docteur Markus Schutz qui se livre à des expériences eugénistes. (Au passage, Rock perd son pucelage avant l’heure en honorant douze fois de suite sa première partenaire…). Le docteur Schutz élève des bébés en éprouvettes et ne sélectionne que les plus beaux. D’où sa devise : « Et on tuera tous les affreux ». (En réalité, ceux qui ne naissent pas « parfaits » se suicident d’eux-mêmes dans son système.) Et impossible de l’arrêter, car il pratique sa méthode depuis de nombreuses années et il a déjà inondé le monde de ses créations. Plusieurs de ses productions sont devenues des hommes politiques importants ou des policiers qui le protègent ou encore des sportifs qui gagnent toutes les médailles. Le monde est donc fichu. Puisqu’on ne peut l’éliminer autant en profiter, se disent Rock et ses amis, en couchant avec toutes les plus belles filles qu’il a créées. Mais voilà le hic : le système va s’auto-réguler car ces magnifiques sylphides, ces beautés idéales, lassées d’avoir des demi-dieux comme partenaires, ne s’intéressent qu’aux mecs les plus moches et les plus mal bâtis. Ainsi l’œuvre utopique du Docteur Schutz va-t-elle péricliter d’elle-même.

En 1948 on avait mis à jour les expériences nazies et la volonté aryaniste du fuhrer. C’est sans doute ce qui a motivé cette pochade de Boris sur l’eugénisme. Un livre mineur au titre bien trouvé.

PS : je suis tout de même content de posséder une édition originale du livre aux éditions du Scorpion…

jllb

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