Femmes de presse
femmes de lettres
Marie-Ève Thérenty
Éditions du CNRS
Première approche de ce livre
Or donc, mes pérégrinations sur la toile m’amènent à découvrir (presque) par hasard ce livre à la couverture attirante et au sujet qui l’est tout autant. Seul petit bémol à première vue : il est édité par le CNRS. J’ai donc tout lieu de penser qu’il a été écrit par une universitaire avec tout ce que ça implique. Qu’importe, je prends le risque, je commande, je reçois et je commence à lire.
Ceci est le compte-rendu des 40 (et très denses) premières pages sur les 375 au total que ce marathon analytique me réserve…
Sur le fond.
Cette étude sur les femmes de presse et de lettres a tout pour me séduire à première vue, d’autant qu’elle est essentiellement basée sur une période qui couvre la fin du Second Empire jusqu’à la troisième République : pile-poil ce qui me passionne en ce moment. Bien sûr, l’auteure parle un peu de l’avant et de l’après, mais le gros de son travail se situe là et ça me convient.
Mais une première déception me prend à la gorge. Marie-Ève Thérenty, et je ne comprends pas très bien pourquoi, choisit délibérément d’écarter les féministes de son étude sans vraiment se justifier : « Nous avons notamment laissé de côté les organes féminins et féministes qui, pourtant, enrôlent les plus gros bataillons de femmes journalistes. Le lecteur ne rencontrera donc que sporadiquement certaines silhouettes de femmes journalistes féministes comme Maria Vérone, Hubertine Auclerc, Jane Misme ». Elle est bien gentille de mettre mon arrière-grand-mère, Maria Vérone, au premier rang de ces femmes journalistes et féministes, mais elle est bien cruelle de l’écarter d’un trait de plume de cette étude qui, brusquement, perd de son intérêt à mes yeux. Mais, baste, je persiste tout de même dans la lecture.
Le personnage initial mis en exergue par l’auteure est Delphine de Girardin, la première femme à avoir tenu une « chronique » régulière dans le journal « La presse » créé et dirigé par son époux, Émile de Girardin. Marie-Ève Thérenty analyse en long en large et en travers, du poil jusqu’à l’os, les apports et innovations de cette chronique dans le monde du journalisme et la place en haut d’un podium où elle lui distribue lauriers et couronnes. Un peu exagéré à mon goût, car, sans rien renier de ce que cette chronique a pu amener à la presse (le mélange de la fiction et de la réalité, le goût du potin en phase avec les préoccupations populaires par opposition à l’analyse intellectuelle réservée aux hommes dans la partie « politique » du journal), elle dénigre souvent le droit des femmes pour flatter la position dominante des intellos mâles de l’époque, à savoir : « Madame à la cuisine, au ménage et à l’élevage des enfants ». Je n’ai, pour ma part, aucune envie de paver de roses les chemins journalistiques de Delphine de Girardin, même si je lui reconnais des qualités.
Je concède à l’auteure un travail historique sans failles et, au fil de la lecture, je découvre des personnages intéressants (comme Sophie Gay, la mère de Delphine de Girardin) et j’apprends beaucoup de choses.
Sur la forme.
Les universitaires ont souvent ce défaut d’être chiants à lire et de ne pouvoir s’empêcher d’emberlificoter leur prose dans une macédoine de vocabulaire pointu (pour ne pas dire, comme eux, « vernaculaire ») et d’idées génialement fumeuses qui enfoncent souvent des portes ouvertes avec une machinerie digne de Léonard de Vinci. Ils ne savent pas dire les choses simplement. J’irai même plus loin : ils ne « doivent pas » dire les choses simplement au risque de perdre tout crédit vis-à-vis de leurs pairs.
Ce livre ne déroge pas à cette règle et il faut s’accrocher pour tirer la substantifique moelle d’une réflexion somme toute intéressante au milieu de ce jus de crâne trop souvent indigeste. Je vous donne un exemple. Marie-Ève Thérenty fait l’apologie du travail de Delphine de Girardin dont la chronique s’intitulait « Courrier de Paris ». Et voici ce qu’elle en dit : « … Mais l’invention girardienne ne se limite pas à ses seuls emprunts génétiques à la littérature et manifeste la pleine compréhension de la polyphonie induite par la structure même du journal. La ségrégation et la discrimination deviennent alors des principes d’oblicité, et là est le vrai génie du “courrier de Paris” » ». Ouf, respirez bien et relisez. Qu’a-t-elle voulu dire ? Tout simplement que Delphine Girardin a innové en créant sa rubrique de potins, qu’elle était consciente que le journal publiait aussi des articles qualifiés de sérieux, mais que son génie a été d’introduire du sérieux par la bande (« oblicité » vient « d’oblique ») au travers de ses potins puisqu’elle parlait de la société telle qu’elle était et non pas d’idées fumeuses et de grandes analyses politiques.
Comme disait l’autre : « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément ».
Je vais donc continuer ma lecture en essayant d’escalader ces collines de verbiage pour n’en garder que la beauté du paysage. Si j’y arrive, je vous raconterai. Mais le chemin paraît long…
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