Fille

Fille

Fille
Camille Laurens
Gallimard

« L’écriture de Camille Laurens atteint ici une maîtrise exceptionnelle… » annonce la quatrième de couverture.

Page 41 : « J’ai demandé à ma mère ce qu’elles se rappelaient DE cet été-là » (on se « rappelle » quelque chose, on se « souvient DE » quelque chose). Plus loin : « Contrairement à leur premier souvenir, elles se souviendraient… ». Bonjour les répétitions. Et ainsi de suite. C’est ça « une maîtrise exceptionnelle » de l’écriture ? Mais, bon sang, il s’agit de la collection NRF de Gallimard !

Bon je me calme. L’écriture de Camille Laurens n’a rien d’exceptionnel (Camille Laurens n’est pas Colette, je me suis fait avoir sur ce plan) mais, en revanche, elle raconte bien. Pas de vocabulaire choisi, donc, mais un récit touchant. Après le décrochage, j’ai raccroché grâce au récit.

Dans ce roman autobiographique (je suppose) intitulé « Fille », elle retrace son propre parcours de vie vu de l’intérieur. Le premier chapitre, où elle parle d’elle à la troisième personne, est un peu lourd et il a failli me faire lâcher l’affaire. Mais dès le second, on passe au « je » et c’est tout de suite plus prenant. De la tendre enfance à l’adolescence, elle ne nous cache rien de ses états d’âme, des rapports avec son beauf de père (médecin tout de même), des attouchements sournois de son oncle étouffés par le couvercle de plomb des femmes de la famille. Justement, les femmes : quel modèle pour la petite fille ? Laurence comprend vite que lorsqu’on est une fille, on n’est rien. D’où la réponse spontanée de son père à qui l’on demande : « Vous avez des enfants ? »… « Non, j’ai deux filles ».

Découverte de la sexualité, du plaisir, du désir, rapports avec les garçons, la famille, le père, la sœur, tout passe au crible des réflexions pleines de bon sens et d’intelligence de Laurence. Doit-elle garder sa virginité jusqu’au mariage, comme le souhaite tellement son père ? (On a passé 1968…) Et lorsqu’elle épousera un homme va-t-elle lui faire un garçon pour combler enfin le désir de son père ? Je ne divulgâche pas, mais les réponses sont surprenantes.

De bonheurs en catastrophes, l’autrice dévoile les plus intimes états d’âme de la petite fille, puis de la jeune fille, puis de la femme mariée, puis de la mère. Elle pardonne tout à son salaud de père, à sa mère en demi-teinte, à son foutu mari, à sa fille qui se comporte comme le garçon qu’elle n’a pas eu. Oui, elle pardonne parce qu’elle les aime et qu’ils sont sa famille. Mais nous, lecteurs, lectrices, qui ne les connaissons pas, on a parfois envie de leur balancer quelques baffes à ces tordus ordinaires, suppôts inconscients de siècles de patriarcat. Car les maladresses, les non-dits, les « laisse-moi faire je sais ce qu’il te faut » sont trop souvent à l’origine des sales coups qui écrasent les filles, les réduisent en cendres, leur font comprendre la négation de leur existence. Heureusement, une génération se lève qui ne se laissera plus faire.

Au final : un livre à lire tout de même, car on ne sort pas indemne du récit.

jllb

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