Gringoire et Irène Némirovsky

Gringoire et Irène Némirovsky

En 1933, Irène Némirovsky vient de signer chez Albin Michel pour ses prochains romans. Mais elle manque d’argent et vend des nouvelles là où elle le peut. Elle porte à Horace de Carbuccia, le patron de Gringoire, le texte de La Nativité qui est publié le 8 décembre. A cette époque, Gringoire est un journal de centre droit pamphlétaire et résolument anticommuniste. Ce qui ne va pas contre les idées d’Irène. Son père, banquier, a été ruiné par l’arrivée des bolcheviks au pouvoir. Mais c’est aussi une importante revue littéraire qui tire à près de 250 000 exemplaires. Seule sa Une est consacrée à la politique, avec des accroches très populistes. Le reste est essentiellement tourné vers la littérature et les auteurs y sont très bien rémunérés. Marcel Prévost qui dirige les pages littéraires fréquente toute l’intelligentsia parisienne : Guitry, Morand, Béraud, Maurras, mais aussi Berl, Carco, Dorgelès, Colette, Blum, Herriot, Yvonne Printemps, Max Linder, Citroën, etc. Gringoire est donc un journal central de la vie parisienne .
A partir de 1934, l’ambiance change. Gringoire qui s’en est pris violemment au nazisme soutient Mussolini dans le but avoué d’éviter un rapprochement entre celui-ci et Hitler. A cette époque, même Romain Gary publie des nouvelles dans Gringoire. Il s’en éloigne quand, en 1935, le journal s’affiche hostile à l’arrivée de juifs en France.En 1936, Gringoire bascule résolument vers l’extrême droite nationaliste et s’oppose frontalement au Front Populaire. Il soutient Franco pendant la guerre d’Espagne.
Pour revenir au cas d’Irène Némirovsky, après le début de la guerre, Gringoire (replié en zone libre et soutien de Pétain) est le seul journal qui ait accepté de la publier sous pseudonyme : les écrivains juifs étaient alors strictement interdits de publication. Il a assuré en grande partie sa survie financière avant qu’elle ne soit elle-même déportée. Le journal arrête de paraître en mai 1944. Le correspondant militaire de Gringoire, l’officier de marine Henri Pelle-Desforges, était résistant. Arrêté par les Allemands, il sera déporté au camp de Buchenwald où il décède en 1944. Étrange mélange des genres.

jllb