Janet
Michèle Fitoussi
Livre de poche
Janet Flanner (1892-1978) a été la première journaliste américaine à assurer une correspondance depuis la France, relatant la vie culturelle et intellectuelle de l’hexagone. Elle a travaillé pour le New Yorker de 1925 jusqu’à sa retraite en 1975 et a profondément marqué son époque par son style littéraire mordant et incisif. Née dans l’Indiana elle fait ses études à Chicago et débute très tôt dans le journalisme comme critique de cinéma. À vingt ans, elle épouse son ami Lane Rehm, mais ce mariage n’est qu’une façade pour sa mère. En réalité, Janet est lesbienne et ne tarde pas à connaître le grand amour avec Solita Solano, une journaliste du New York Tribune. Malgré leur séparation rapide (et le divorce qui viendra bien des années plus tard) son mari restera toujours son ami et la soutiendra jusqu’à la fin de sa vie.
De New York à Paris
Janet s’installe à New York et fréquente la bande de l’Algonquin* : un
groupe de journalistes et d’écrivains très actifs qui font la pluie et le beau
temps dans le microcosme intellectuel new-yorkais et dont Dorothy Parker, peau
de vache patentée, est la plus éminente représentante. Ils sont un peu trop
bouillants pour la timide Janet qui part découvrir l’Europe en compagnie de
Solita. Après avoir voyagé en Italie, en Grèce, en Allemagne, c’est à Paris en
1925 que les deux femmes s’installent dans un petit hôtel du Quartier latin.
Janet commence à écrire ses fameuses chroniques pour le New Yorker. La
ligne rédactionnelle est claire : parler de la vie parisienne et éviter d’aborder
les sujets politiques. Cette période dite de « La Belle Époque » est
incroyablement riche et foisonnante à Paris où, en raison de la prohibition et
du puritanisme qui sévissent aux États-Unis, de nombreux Américains ont décidé
de s’installer. Janet tire le portrait de plusieurs personnalités dont la cote
commence à grimper, dont celui de Picasso…
Mais après la crise financière et le krach boursier de 1929, la misère s’installe en Europe et la montée du nazisme vient gâcher l’insouciance qui régnait après la Première Guerre mondiale. Alors que les articles politiques sont bannis de son journal, Janet parvient tout de même à faire passer un portrait d’Hitler (qu’elle ne rencontrera jamais physiquement) qui défraye la chronique outre-Atlantique.
Les amours tumultueuses de
Janet Flanner
Sa vie affective connaît des hauts et des bas. Bien qu’en couple avec
Solita, elle vit de nombreuses aventures. C’est l’âge d’or des amours saphiques
dans la capitale où la très riche Natalie Barney, libre d’esprit et de mœurs,
règne sur le petit monde des lesbiennes qui inclut Liane de Pougy, Romaine Brooks,
Gertrude Stein, Colette, Renée Vivien et bien d’autres. Janet finit par tomber
amoureuse de Noël Murphy (la sœur d’une de ses amies). Bientôt, elle vivra à
mi-temps avec elle et avec Solita, étant incapable de rompre. Sa situation se
complique encore lorsqu’elle rencontre l’éditrice italienne Natalia Danesi
Murray avec qui elle entretiendra une relation jusqu’à la fin de sa vie.
Janet, pourtant féministe dans l’âme, ne milita jamais et resta plus que discrète sur ses amours lesbiennes qu’elle cacha à sa mère jusqu’à la mort de celle-ci.
Quand la guerre éclate en Europe, elle manque de courage et retourne aux États-Unis. Elle ne revient en France que lorsque les Américains débarquent et reprend sa chronique jusqu’en 1975, date de sa retraite.
Un roman biographique
Le livre de Michèle Fitoussi est une biographie romancée incluant des dialogues et des sentiments supposés des différents personnages afin de rendre le récit plus vivant. Pour être plus proche de la vérité, l’autrice a utilisé de véritables phrases de Janet Flanner extraites de ses articles et de ses courriers (dont elle cite les sources à la fin du livre). Construit en chapitre cours de cinq à dix pages, le texte est très bien rythmé et la lecture facile. La période 1925/1939 est la plus intéressante à mon goût et témoigne de l’incroyable effervescence de la vie parisienne. Flanner était très amie avec de nombreux Américains expatriés, dont Ernest Hemingway (qui s’engagea dans la Guerre d’Espagne) et Sylvia Beach, libraire et propriétaire de la librairie « Shakespeare & Company » où se retrouvait toute l’intelligentsia anglo-saxonne.
J’ai de la chance, mes amies me gâtent. Merci à celle qui, m’offrant ce livre, m’a fait découvrir la vie étonnante de cette journaliste hors-norme. Dans la foulée, j’ai commandé le recueil des chroniques de Janet Flanner 1925-1939** pour découvrir sa plume. Car si j’en restais là, ce serait comme avoir lu la bio de Balzac sans jamais avoir ouvert un de ses livres. Je serai donc amené dans un futur proche à vous reparler de Janet Flanner.
Et pour ceux qui sont intéressés par ces Américaines qui ont vécu en France, je recommande l’excellent livre de Gérard Bonal : « Des Américaines à Paris 1850-1920) dont j’ai rendu compte ici : https://jeanlouislebreton.com/?p=1511
* J’ai séjourné à l’hôtel Algonquin lors d’un séjour à New York dans les années 80. Il avait conservé tout le charme désuet des années trente et c’était, pour moi, comme faire un plongeon dans le passé. À lire cet article Wikipédia sur le groupe “Algonquin Round Table” : https://en.wikipedia.org/wiki/Algonquin_Round_Table
** Chronique d’une Américaine à Paris 1925-1939 — Éditions Texto