La dernière nuit de Don Juan

La dernière nuit de Don Juan

La dernière nuit de Don Juan
Edmond Rostand — 1921

La dernière œuvre d’Edmond Rostand est publiée à titre posthume (il est mort le 2 décembre 1918) sous le titre « La dernière nuit de Don Juan — Poème dramatique en deux parties et un prologue ». Rostand était dépressif sur la fin de sa vie, et cela se ressent fortement dans ce texte construit comme une pièce de théâtre et écrit en alexandrins.
À la fin de sa vie, Don Juan a rendez-vous avec le diable et s’interroge sur le sens de son existence. Fier, il commence par parader devant le malin qui le met rapidement face à lui-même : Don Juan a gâché sa vie. Il n’a aimé aucune femme et aucune femme ne l’a vraiment aimé. Des 1003 créatures qu’il a possédées aucune n’a compté pour lui… mais, plus dur encore, il n’a vraiment compté pour aucune. Les larmes qu’il se targue d’avoir fait couler et que le diable a recueillies n’étaient pas des larmes sincères. Il a cru manipuler ces femmes, mais ce sont elles qui se sont servi de lui. Il était de bon ton dans la société bourgeoise, d’avoir eu ce séducteur au moins une fois dans son lit… Il pensait les conquérir et les séduire, mais ce sont elles qui menaient le jeu :
« Tes échelles Don Juan, ne seraient-elles pas
Des toiles d’araignées auxquelles tu grimpas ? »
Au fur et à mesure de la discussion, Don Juan ne cesse de tomber : ses certitudes et ses croyances s’effondrent. Et quand, dans un sursaut d’orgueil, il réclame les flammes de l’enfer comme un châtiment à sa mesure, le diable le punira en faisant de lui une marionnette, un sombre pantin.

Après avoir achevé cet après-midi la lecture de ce Don Juan de Rostand, j’ai eu envie de relire celui de Molière, étudié au lycée, il y a si longtemps. Je ne me souvenais pas que Molière l’avait écrit en prose. À la différence de celui de Rostand, son Don Juan est encore dans l’action : hâbleur, menteur, fornicateur et sans scrupules. Son amoralité est contrebalancée par le jugement de Sganarelle, son fidèle valet qui oscille entre hypocrisie soumise et franche contestation de l’attitude de son maître. Sganarelle apporte un ressort comique à la pièce de Molière qui s’achève assez brutalement par la mort de Don Juan, emmené dans les enfers par la statue du Commandeur (l’un des maris qu’il a tués et dont il a séduit la femme).
Si Molière joue sur la duperie du personnage (particulièrement lorsqu’il se trouve confronté à deux paysannes, Charlotte et Mathurine, à qui il a promis le mariage) et sur son absence totale de vertu pour choquer — et faire rire — le spectateur, Rostand se concentre sur le dernier jour du héros vieillissant. Son poème est celui du jugement dernier, ce moment où Don Juan cherchant en lui un semblant de filet d’amour pour ses semblables finit par nous apparaître humain à l’heure de son châtiment. Tout lui est enlevé : il est nu. Deux approches radicalement différentes donc : la comédie pour Molière, la tragédie pour Rostand.

jllb

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