La femme et le pantin
Pierre Louÿs
Edition Cuzin 1946
Exemplaire n° 4675 illustré de quatorze hors-texte en couleurs, quinze têtes de chapitre et onze in-texte monochromes de André-Jo Veilhan.
Magnifique et passionnante œuvre de Pierre Louÿs, sous-titrée « roman espagnol » auquel j’ai sacrifié une sieste qui pourtant me tendait les bras et voulait m’enlacer de sa volupté digestive. Mais dès le début, je fus si bien emporté par le récit, que je ne le lâchais qu’une fois l’épilogue achevé après cent vingt-huit pages de brûlante passion ibérique.
En ce 23 février 1896, André Stévenol arpente les rues de Séville à l’occasion du carnaval. Les enfants jettent aux passants des œufs remplis de poudre qui éclatent comme des milliers de confettis. Il médite sur ce séjour qui doit s’achever dans deux semaines et durant lequel aucune aventure amoureuse ne lui a chauffé le cœur. Mais voilà qu’au milieu de la foule passe une calèche dans laquelle se trouve une jeune femme d’une éblouissante beauté qui se cache à moitié derrière un éventail. Il lui lance un œuf sur lequel il inscrit « quiero ». « Quiero est un verbe étonnant qui veut tout dire » écrit Pierre Louÿs. « C’est vouloir, désirer, aimer, c’est quérir, c’est chérir. Tour à tour selon le ton qu’on lui donne, il exprime la passion la plus impérative ou le caprice le plus léger. C’est un ordre ou une prière, une déclaration ou une condescendance. Parfois ce n’est qu’une ironie. Le regard par lequel André l’accompagna signifiait simplement : “J’aimerais vous aimer” ».
Mais la merveilleuse se perd dans la foule. Plus tard, il la revoit passer. Elle lui jette doucement comme une rose le même œuf qu’elle tient à la main. Celui-ci ne se brise pas. Il le ramasse. Le mot Quiero se lit toujours sur la coquille et un paraphe très décidé semble gravé par la pointe d’une broche terminant la dernière lettre comme pour répondre par le même mot.
Fou d’espoir, André suit la calèche. Il voit la femme disparaître derrière la grille d’une opulente maison. Il sonne, veut donner sa carte au laquais, mais on lui refuse tout accès. Il cherche à savoir le nom de la belle Andalouse. Un commerçant finit par le lâcher : Concepcion Perez. Dépité, il rentre à son hôtel. Là une lettre l’attend : « Don Andrés Stevenol est prié de ne pas faire tant de bruit, de ne pas dire son nom, de ne pas demander le mien. S’il se promène demain, vers trois heures, sur la route d’Empalme, une voiture passera qui s’arrêtera peut-être ».
André pense soudain que la vie est facile. Mais plus tard, il croise un ami, Don Matéo, la quarantaine passée, ancien grand séducteur qui lui paraît vieilli. Matéo l’invite à déjeuner pour le lendemain. André accepte en précisant qu’il devra partir tôt, car il a un rendez-vous à trois heures.
Le lendemain, le repas est parfait et André si impatient de retrouver la femme qu’il s’en ouvre à Don Matéo. Celui-ci lui demande le nom de la séductrice. Il finit par le lâcher. La réaction de Don Matéo est immédiate : « Ah ! Vous avez bien fait de me parler d’elle. Vous avez bien fait, monsieur. Si je peux vous arrêter à la porte de celle-là, ce sera une bonne action de ma part, et un rare bonheur pour vous. () C’est la PIRE des femmes, monsieur, monsieur, entendez-vous ? C’est la PIRE des femmes de la terre… »
Et dans la petite centaine de pages qui suit, Don Matéo va expliquer à André la raison de ce jugement. Car il connaît bien Concepcion Perez. Toute jeune fille il l’a rencontrée dans un train. Pendant des mois elle a fait de lui son pantin avec un mélange d’ingénuité et de perversité que Louÿs nous décrit magistralement, laissant le lecteur pantelant à chaque fin de chapitre. Je ne dévoilerai rien de plus, car c’est là que l’aventure commence véritablement.
Et puis, j’ai tellement apprécié cette belle édition, l’épaisseur du papier, les dessins d’Andre-Jo Veilhan. Voilà une Concepcion qui va hanter mes rêves pendant quelques nuits…