La mère de ma mère

La mère de ma mère

La mère de ma mère
Vanessa Schneider
Points

Vanessa Schneider est journaliste politique au Monde et à M le Magazine. Je la vois assez souvent participer à l’émission C dans l’air, sur la 5, en tant que commentatrice de l’actualité. Comme je trouve ses interventions plutôt intéressantes, j’ai cherché à en savoir plus sur elle. Sa fiche Wikipédia m’apprend qu’elle est la fille du psychanalyste Michel Schneider (dont on précise qu’il était « maoïste » et hippie) et d’une mère métisse.

Elle est également la cousine de l’actrice Maria Schneider, célèbre pour son rôle aux côtés de Marlon Brando dans Le Dernier Tango à Paris.

Vanessa Schneider a démarré sa carrière à Libération. Elle a travaillé pour l’agence CAPA, pour Canal+, puis pour Marianne avant d’intégrer le service politique du Monde.

En 2008, elle publie un petit ouvrage intitulé La mère de mère, présenté comme un roman, mais qui est en fait entièrement autobiographique. Je viens de le lire. Elle y raconte les relations entre sa mère et la mère de sa mère qu’elle n’a connue que sur la fin de sa vie.

Clara, sa grand-mère née en 1906 à Haïti, est une noire issue de la grande bourgeoisie. Elle a des origines africaines. Catholique, elle fait des études et devient institutrice. Sa famille veut la marier à un Haïtien, mais elle refuse. Elle a d’autres ambitions que de devenir mère pondeuse au foyer. Elle veut voyager. Elle fait la connaissance d’un riche Français qui tombe amoureux d’elle. Elle l’épouse, il la ramène en France où elle mène une existence bourgeoise. Mais il meurt assez rapidement (il a été gazé pendant la Grande Guerre) et sa famille qui n’a jamais accepté ce mariage la rejette. Elle se retrouve seule et refuse de retourner en Haïti. Sous le nom d’Anaclara, elle tente une carrière dans le cinéma, apparaîtra dans quelques films, dont Les Perles de la couronne de Sacha Guitry. On la cantonne à des rôles de bonniche noire. Elle épouse en secondes noces un certain Max, d’origine provençale. Un garçon douteux, proche du grand banditisme et des barbouzes du SAC. Il veut des enfants, elle n’en veut pas, avorte plusieurs fois en cachette et finit par céder : elle aura une fille (la mère de Vanessa) et un fils. Clara et Max n’ont aucune tendresse pour leurs enfants. Clara ignore sa fille, ne lui parle pas, multiplie les petites vacheries et les petits sévices. Tant et si bien qu’à l’âge de la majorité, celle-ci claque la porte de la maison, sans retour. Pendant plus de vingt ans, Clara ne cherchera jamais à revoir sa fille, et réciproquement. Ce n’est que vers la fin de sa vie, alors qu’elle vit seule, que les deux femmes reprendront contact. Mais l’amour n’est toujours pas là.

Quand Vanessa fait connaissance de celle qu’elle appelle « la mère de ma mère », elle la vouvoie… et n’arrivera jamais à lui dire « tu ». Elle est témoin de cette rupture affective qui fut le drame de sa mère et que les années n’ont pas réparée. Clara est toujours aussi brutale, égoïste. Devant sa fille est dit à sa petite fille, parlant de son mari Max : « C’est lui qui voulait des enfants, je n’en ai jamais voulu moi. Ah ! J’en ai fait passer des bébés, je peux te le dire ! Je suis tombée enceinte un sacré nombre de fois et j’ai toujours réussi à m’en tirer. À la fin il se doutait de quelque chose alors j’ai su que je devais m’y résoudre. Si je n’avais pas eu d’enfants, il m’aurait quittée. C’est comme ça que j’ai gardé ta mère ». Qu’y a-t-il de plus cruel pour un enfant que de s’entendre répéter qu’il n’a pas été désiré ?

Avec cette grand-mère, Vanessa Schneider a découvert ses origines haïtiennes et africaines. Elle avait pourtant vécu quelques traumatismes dans l’enfance. Elle raconte comment, lors de son premier jour d’école, elle et son frère se font traiter de « négros » par une petite fille blonde. « Jusqu’alors, je ne m’étais pas rendu compte que ma peau était plus mate, que mes cheveux étaient plus foncés. J’avais à peine remarqué que ceux de ma mère étaient crépus. Je savais juste que sa mère à elle venait d’Haïti, une île des Caraïbes. J’ai compris ce jour-là, ou ceux qui suivirent qu’elle était noire, que ma mère était métisse et nous, quarterons ».

Ce petit livre en forme de résilience est un joli chemin à suivre sur les traces d’un passé familial douloureux.

Vanessa Schneider en 2018

jllb