La promesse de l’aube

La promesse de l’aube

La promesse de l’aube
Romain Gary

Il n’est jamais trop tard pour bien faire et je découvre la littérature de Romain Gary avec ce livre qui m’a donné envie d’en lire d’autres. Il s’agit ici de l’autobiographie de son enfance, depuis sa naissance jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale durant laquelle l’auteur a été aviateur. Ce texte n’aurait pas plus d’intérêt s’il n’était qu’un témoignage parmi d’autres. Mais en fait il est le récit de l’incroyable lien amoureux qui unissait un fils à sa mère. Romain Gary, né Roman Kacew à Vilnius en 1914 a été élevé par sa seule mère pour qui il était tout et qui avait placé en lui ses plus grandes espérances. Il serait une célébrité, un homme d’État, un acteur, un poète, un peintre, un champion sportif, un écrivain ou un diplomate, mais quoiqu’il arrive, il aurait une carrière exceptionnelle. Et c’est bien ce qui se passa. Gary fut porté par l’amour de sa mère comme par une puissance infinie. Cette relation, telle qu’il la décrit, atteint un tel degré de force, elle est si invasive qu’elle en devient gênante pour le lecteur. Car elle obère tout le reste et empêche à tout jamais Gary de trouver un plus grand bonheur. Ainsi donc, cette « promesse de l’aube » est celle qui fait croire à l’auteur qu’il pourra plus tard rencontrer un amour aussi fort que celui que sa mère lui donne au début de sa vie. Mais pour lui, c’est impossible. Dès lors, tout n’est plus qu’amertume. Il l’écrit de très belle façon :

« Avec l’amour maternel, la vie vous fait à l’aube une promesse qu’elle ne tient jamais. On est obligé ensuite de manger froid jusqu’à la fin de ses jours. Après cela, chaque fois qu’une femme vous prend dans ses bras et vous serre sur son cœur, ce ne sont plus que des condoléances. On revient toujours gueuler sur la tombe de sa mère. Jamais plus, jamais plus, jamais plus. Des bras adorables se referment autour de votre cou et des lèvres très douces vous parlent d’amour, mais vous êtes au courant. Vous êtes passé à la source très tôt et vous avez tout bu. Lorsque la soif vous reprend, vous avez beau vous jeter de tous côtés, il n’y a plus de puits, il n’y a que des mirages. Vous avez fait, dès la première lueur de l’aube, une étude très serrée de l’amour et vous avez sur vous de la documentation. Partout où vous allez, vous portez en vous le poison de la comparaison et vous passez votre temps à attendre ce que vous avez déjà reçu. »

Pauvre Gary qui chercha toute sa vie l’amour de sa mère dans celui d’autres femmes et qu’il ne trouva jamais bien entendu. On est presque triste pour lui des ravages de cet amour maternel sur sa personne, de l’étouffement qu’il a subi avec jouissance. Oui, il a follement aimé sa mère, mais, précise-t-il, pas de passion physique. Il ne l’a jamais désirée sexuellement. Elle était déjà âgée lorsqu’elle l’a eu. Et lui préférait les jeunes filles. Cependant, et là il est impossible de le suivre, il justifie et excuse l’inceste au nom de cet amour et de l’absence de jugement moral sur tous les comportements sexuels des humains. Il le dit ouvertement : « Toutes les frénésies de l’inceste me paraissent plus acceptables que celles d’Hiroshima, de Buchenwald, des pelotons d’exécution, de la terreur, de la torture policière, mille fois plus aimables que les leucémies et autres belles conséquences génétiques probables des efforts de nos savants ». Justifier l’un en l’opposant aux autres est un sophisme que peu lui pardonneraient aujourd’hui. Certes, parlant d’inceste Gary devait penser à l’envie du fils amoureux de coucher avec sa mère et non pas au viol d’une fille par son père ou son oncle. Mais là encore, l’un n’excuse pas l’autre.

Au final un livre très bien écrit et prenant, mais qui laisse un goût étrange, un peu amer : celui de la déraison sentimentale.

Au fait, pourquoi Romain a-t-il choisi de s’appeler Gary ? Il suffit de regarder la photo de couverture qui le représente lorsqu’il était aviateur et jeune écrivain. La ressemblance avec Gary Cooper est frappante, n’est-ce pas ?

jllb