Le malentendu

Le malentendu

Le malentendu
Irène Némirovsky
Denoël

Irène Némirovsky fait partie de ces familles juives russes qui ont été dépossédées d’une grande partie de leur fortune par la Révolution bolchévique. Elle arrive à Paris en 1919, à l’âge de seize ans et vit une existence facile de jeune fille aisée. Mais, avec les années l’argent s’amenuise. Elle doit travailler pour maintenir un train de vie minimum auquel sa famille l’a habituée.

Elle commence à écrire et connaît le succès en 1929 avec « David Golder » qui relate la descente aux enfers d’un banquier juif soumis à la rapacité de sa femme et de sa fille (voir mon compte-rendu ici : https://jeanlouislebreton.com/?p=1609).

Mais ce livre n’est pas son premier roman. Un autre a paru en 1923 (elle a dix-neuf ans quand elle l’écrit), sous le titre « Le malentendu ». J’ignorais son existence, et je suis tombé fortuitement sur une réédition de 2010. Encore une fois, l’argent est le thème central de ce texte dont l’action se situe juste après la Première Guerre mondiale. Yves Harteloup, héritier de la grande bourgeoisie parisienne a été dépossédé de sa fortune au décès de son père. Il n’a pas perdu ses habitudes de l’époque où sa vie était facile et dépense sans trop compter. Mais il est obligé de travailler pour vivre. À Hendaye où il prend quelques vacances, il fait la connaissance de Denise, jeune femme richement mariée et mère d’une petite fille. Elle devient sa maîtresse, croyant qu’il fait partie de sa caste. Mais de retour à Paris, la réalité reprend le dessus. Comment cet amour sincère et puissant va-t-il résister à la différence de classe qui les sépare désormais ?

Si le style est un peu hésitant et montre quelques maladresses, l’analyse des caractères et le comportement des personnages montrent bien qu’Irène Némirovsky maîtrisait très tôt les codes du roman psychologique. Car ce qui peut apparaître comme une bluette romantique dans les premières pages devient un drame quasi cornélien au fur et à mesure que l’intrigue se développe. On lit ce livre avec plaisir et avec un petit pincement au cœur quand on connaît la vie d’Irène, les dernières vacances qu’elle passa en famille sur la côte basque en 1939 avant que l’horreur de la guerre ne la rattrapât et qu’elle fût déportée puis tuée dans un camp de concentration en 1942.

J’ai pour Irène, que je n’ai évidemment pas connue, une tendresse particulière pour avoir travaillé plusieurs années avec sa fille Élisabeth. Elle et sa sœur Denise échappèrent à la déportation, car elles furent cachées par des amis pendant l’Occupation.

Irène a choisi Denise comme prénom de l’héroïne principale de ce roman. Elle a appelé sa petite fille « France » qui est le second prénom d’Élisabeth. Ses deux enfants sont donc ici fantasmés comme personnages. Ces petits détails cumulés et le parallèle avec l’existence d’Irène font de ce texte un récit touchant pour qui peut lire entre les lignes comme moi. (J’ai chroniqué une dizaine de textes d’Irène Némirovsky sur ce blog et lu tous les ouvrages parus sur sa courte vie).

C’est aussi le cas de son biographe, Olivier Philipponnat qui signe la préface de cette édition. Préface peu compréhensible dans un premier temps et qui ne prend son intérêt que lorsqu’on la relit après avoir terminé le roman. Je me suis souvent fait cette remarque que beaucoup de préfaces mériteraient d’être placées en postfaces…

jllb

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