La librairie du Zodiaque a été fondée avant la guerre par l’écrivain Pierre Véry (auteur des « Disparus de Saint Agil ») et par le poète Pierre Béarn. Puis, c’est Pierre Béarn seul qui s’en est occupé avec son épouse Gabrielle.
J’ai été embauché comme vendeur par Pierre Béarn en 1977. « Pour un mois ou deux » m’avait-il précisé ajoutant que j’allais tenir compagnie à son épouse malade dont tous les pronostics étaient très pessimistes à la suite d’une intervention chirurgicale. Trois ans après j’étais toujours là et Gabrielle se portait comme un charme.
Située rue Monsieur le Prince, en haut du boulevard Saint-Michel et à deux pas du Luxembourg, la librairie était un véritable grenier à livres. Pierre et Gabrielle y avaient accumulé des centaines d’éditions originales et des livres rares. Tout cela baignait dans un grand désordre et beaucoup de poussière. C’est là que j’appris la valeur des livres à petits tirages, imprimés sur des vélins de luxe et très recherchés, mais aussi aux éditions rares de La Pléïade. Le plus gros du chiffre d’affaires était réalisé grâce aux services de presse (SP). Pierre Béarn, alors président de la Société des Gens de Lettres (SGDL), avait ses entrées dans le monde littéraire et celui de la presse. Chaque mois, les journalistes spécialisés reçoivent des dizaines de livres en SP. Impossible de les conserver tous sous peine de ne plus pouvoir entrer chez soi. Les plus généreux en font cadeau à leur bibliothèque, les autres les revendent.
Des écrivains célèbres.
Pierre Béarn les rachetait régulièrement à quelques-uns de ces plumitifs ou écrivains désireux d’arrondir leurs fins de mois. Je l’accompagnai dans ses tournées, grimpant des escaliers avec des toiles dans lesquelles nous emballions les livres avant de les redescendre sur le dos. On s’arrêtait souvent pour discuter avec l’auteur ou le journaliste et j’ai pu faire connaissance de quelques sommités littéraires de l’époque. La règle était bien sûr de taire leur nom et de supprimer la dédicace de l’auteur sur chaque page des livres achetés. En réalité, nous gardions le texte de la dédicace et je passai simplement le nom du récipiendaire au papier de verre fin pour le faire disparaître.
Quelques années après mon départ, le magasin du Zodiaque a été revendu à la librairie Album spécialisée dans la bande dessinée.
Je suis resté trois ans à la librairie du Zodiaque qui était fréquentée par des écrivains fameux comme Claude Roy ou Robert Sabatier. Pierre Béarn venait superviser la vente de temps à autre, mais il était très pris par la publication de sa propre revue trimestrielle « la Passerelle » et ses activités à la SGDL.
Pierre Béarn.
Son statut de poète ne faisait pas de lui un personnage éthéré ou tête en l’air. Au contraire, c’était un homme petit, trapu, baraqué, solide sur pieds, à la lippe gourmande et aux yeux d’un bleu extraordinaire. Grand macho devant l’éternel il n’avait jamais renoncé aux conquêtes féminines et entretenait toujours, à plus de 70 ans, des liaisons amoureuses. Il travaillait à une anthologie de la poésie érotique féminine, ce qui lui donnait l’occasion de rencontrer des belles dont les charmes n’étaient pas que littéraires. Gabrielle, de vingt ans sa cadette, fermait les yeux sur les frasques de Pierre et régnait sur la librairie avec gentillesse et classe.