Les grands espaces

Les grands espaces

Les grands espaces
Catherine Meurisse
Dargaud

L’autre jour, je roulais de vallons en collines dans ma patache campagnarde en écoutant la TSF. Une jeune femme, créatrice de bandes dessinées y était interviouée1 par le joyeux turlupin Antoine de Caunes, à l’occasion de la sortie d’un nouvel alboume2 intitulé « Delacroix ». Catherine Meurisse (car c’était elle) expliquait avoir utilisé le texte d’une conférence d’Alexandre Dumas sur Delacroix pour la réalisation de cette nouvelle œuvre. Elle avait besoin, disait-elle, de prendre un peu de distance en tant qu’autrice alors que, jusqu’à présent tous les alboumes qu’elle avait dessinés étaient de pures créations personnelles inspirées de sa vie.

« Tous les alboumes » ? m’étonnai-je, alors que je n’avais jamais entendu parler d’elle de ma vie. Comme quoi on passe à côté de bien des champs de fleurs sans ouvrir les narines. Et elle sentait bon, Catherine Meurisse, au travers des ondes : une odeur de fraîche et juvénile campagne, un rire en jolie cascade d’eau fraîche à laquelle on s’abreuverait volontiers un soir de canicule. Elle est née en 1980, à un chouïa près l’âge de mon fils qui, lui aussi est dessinateur. Mais loin de l’épanouissement de la demoiselle, mon mien descendant s’étiole dans l’industrie du dessin animé qui broie beaucoup de vocations dans les rouages des cadences infernales.

Elle virevoltait en paroles, à l’aise dans ses baskets. Elle causait comme on chante, évoquait ses lectures, le Poitou de son enfance, les arbres de son jardin (le vieux platane baptisé « Swann » en hommage à Marcel). Et puis, toujours sur le même ton badin elle a évoqué son travail d’illustratrice à Charlie Hebdo et le fait d’avoir échappé à la tuerie de du 7 janvier 2015. « J’étais en retard » a-t-elle dit. Et, à ses amis lui lançant « tu as eu de la chance », elle a toujours intelligemment répondu : « c’est le hasard ». Je dis « intelligemment » parce que lorsqu’on y réfléchit bien, la nuance est profonde entre « la chance » et « le hasard ».

Curieux de nature, j’ai voulu en savoir plus sur elle et je me suis procuré un alboume paru en 2018, intitulé « Les grands espaces ». Je viens d’en tourner la dernière page et j’ai encore des fleurs en papillotes au coin des yeux et des brins de paille dans la moustache.

On respire bien chez Catherine Meurisse. Dans le style de dessin, on dirait un peu la fille de Sempé. Dans l’esprit aussi. En version féminine, rajeunie et dépoussiérée. Fille de Sempé qui aurait suffisamment papillonné pour s’affranchir de l’influence de son père et créer son univers particulier.

Je comprends qu’elle avait besoin de se replier sur l’enfance pour mieux s’aérer les poumons après s’être approchée du gouffre. Elle y parvient magnifiquement. Ce récit d’enfance est tellement touchant qu’il vous bouleversifie. Vous m’avez compris : il faut absolument lire l’alboume de Catherine Meurisse dont le patronyme m’évoque plein de vieux souvenirs (Paul Meurisse, Hôtel Meurice, Meurice Ravel… 😉).

 

 

1 Je maintiens cette orthographe qui me plaît, envers et contre mon correcteur

2 et 3 idem

jllb