L’inconstante
Gérard d’Houville
Petit rappel (voir ma fiche portrait https://jeanlouislebreton.com/?p=1161) : Gérard d’Houville n’est autre que Marie de Régnier, née Marie de Hérédia. Amoureuse de Pierre Louÿs, elle a cependant épousé Henri de Régnier parce qu’il était riche et afin de sortir sa famille de l’impasse financière dans laquelle son père, l’académicien José Maria de Hérédia, l’avait jetée par ses dépenses inconsidérées. Marie a choisi le pseudonyme de Gérard d’Houville en référence à un lointain ancêtre nommé « Girard d’Ouville ».
Elle démarre sa carrière littéraire vers 1895 en publiant des poèmes. « L’inconstante » est son premier roman, édité en 1903 et qui va d’emblée connaître un grand succès. On ne peut pas faire plus autobiographique puisqu’elle y raconte sa liaison passionnée avec Pierre Louÿs. Elle a simplement changé les noms : Marie devient Gillette de Vernoy, Pierre devient Valentin de Vérovre, Henri de Régnier devient Charles de Vernoy, le poète Tinan devient Michel.
Que s’est-il passé dans la vraie vie ? Après son mariage, Marie est devenue la maîtresse de Pierre Louÿs. Si elle ne l’a pas avoué ouvertement à Henri de Régnier, elle ne s’en est jamais caché non plus et ne lui a jamais menti lorsqu’il lui demandait où elle passait ses après-midis : « Avec Pierre ». Régnier a donc non seulement admis Louÿs comme l’amant officiel, mais en lui gardant toute son amitié : il était large d’esprit (et il savait qu’en refusant cette situation il perdrait à coup sûr Marie qu’il aimait profondément). Au bout de quelques mois, Louÿs part en voyage en Orient. Se sentant trahie, Marie le trompe avec le poète Tinan, meilleur ami de Louÿs. Liaison à laquelle elle mettra fin assez brutalement. Peu de temps après, Tinan qui était de santé fragile meurt à l’âge de 24 ans. Louÿs revient et leur liaison reprend.
Que se passe-t-il dans le roman ? Gillette, mariée à Charles mène une liaison amoureuse avec Valentin. Celui-ci part quelques mois à l’étranger. Gillette le trompe avec Michel, le meilleur ami de Valentin. Elle met rapidement un terme à cette liaison et comprend qu’elle n’aime qu’un seul homme : Valentin. La fin du roman est un peu différente de la réalité, je vous la laisse découvrir.
Ce qui est intéressant dans ce texte est la façon dont Marie de Régnier se met en scène sous les traits de Gillette et se qualifie elle-même « d’inconstante ». Inconstante elle l’est puisqu’elle trompe son mari et son amant. Cependant elle demande à être pardonnée, car elle fait la différence entre le plaisir physique et l’amour. Le premier étant l’exultation naturelle du corps, le second l’expression du cœur et de l’âme. En ce sens, elle est une femme libérée étonnamment moderne pour son époque. Sa liaison avec Pierre Louÿs restera à tout jamais le grand amour de sa vie. Mais, par la suite, elle aura de nombreux amants… et quelques maîtresses.
Son écriture est fouillée, assez descriptive et agréable à lire. Le monde qu’elle décrit est celui des familles aisées. Les Hérédia étaient d’origine créole (leurs ancêtres possédaient des terres à Cuba). Ils ont toujours vécu richement dans de belles résidences ou dans de grands appartements et entourés de personnel à leur service (bonne, cocher, cuisinière…). Jeune, Marie a donc vécu une vie facile alors que Pierre Louÿs, sans être pauvre, ne disposait que d’une toute petite fortune. Le fait de ne pas avoir à gagner sa vie dès le plus jeune âge lui a laissé le temps de vivre pleinement à la fois ses passions sentimentales et son amour de la poésie et de la littérature. On sent dans sa prose qu’elle a beaucoup lu et qu’elle est très cultivée. Son premier roman est particulièrement maîtrisé dans le style.
Née en 1875, elle est décédée en 1963 à Suresnes.