L’insurgé

L’insurgé

L’insurgé
Jules Vallès

Troisième et dernier volume de sa trilogie autobiographique, « L’insurgé » est unanimement considéré comme le meilleur livre de Jules Vallès. Encore une fois je ne vais pas suivre l’unanimité tout en modulant mon jugement : si ce tome (à la différence des deux premiers) n’est pas un très grand livre pour la littérature, il reste un témoignage de premier ordre pour l’Histoire (avec un grand « H » aspiré, c’est encore plus stupéfiant !).

Mais je reviens un chouïa en arrière. « L’enfant » nous décrivait la jeunesse difficile de Vallès, gamin battu par ses parents. Un père ayant raté sa vocation, remâchant son amertume et se vengeant sur son gosse. Une mère déclassée, issue de la paysannerie et mal à l’aise dans sa peau de bourgeoise, à la limite du sadisme envers son fils. Et, au milieu de cette tourmente, l’enfant devenu adulte racontant ses malheurs avec humour, distanciation, sensibilité et exprimant malgré torgnoles et raclées son amour pour ses parents.

« Le bachelier » nous contait l’épineux parcours de vie d’un étudiant fauché, lâché sur le pavé de Paris : ses galères pour trouver un logement et, du travail. Mais aussi ses engagements contre la misère, le cercle d’amis qu’il forme avec des sans-le-sou aussi enthousiastes que lui et la naissance d’une vocation politique, d’une capacité à entraîner les autres, à haranguer les foules. Enfin on le suit dans ses débuts journalistiques chaotiques.

« L’insurgé » est donc l’aboutissement logique de ce parcours au moment où il croise la grande Histoire. Vallès a 38 ans lorsqu’éclate la guerre de 1870 qui va entraîner la chute du Second Empire. Journaliste confirmé désormais, républicain engagé pour la révolution « Sociale », il collabore à de multiples gazettes et il est régulièrement jeté en prison à Sainte-Pélagie, généralement pour de courtes périodes, en raison de ses écrits. Certes il appelle de ses vœux une nouvelle société, un nouvel ordre plus juste et il est de tempérament fougueux : il sait rendre les coups qu’il a reçus dans son enfance et ne recule pas devant la bagarre quand elle se présente. Mais tout ceci n’est qu’une façade, car Vallès est profondément pacifique et antimilitariste.

Lorsque l’insurrection de la Commune démarre, il se trouve en être l’un des leaders naturels. Mais il dénonce les massacres gratuits, ceux des généraux Lecomte et Thomas puis, plus tard la boucherie de la fusillade de la rue Haxo. Il ira tout de même, contraint et forcé et pour ne pas passer pour un lâche, faire le coup de feu sur les barricades.

Le livre est architecturé en 35 chapitres et seuls les douze derniers (les plus passionnants) racontent le quotidien de Vallès pendant la Commune : ses prises de position, ses doutes, son refus de l’autorité (il est commandant de bataillon, mais arrache tous ses insignes). Il nous offre une étonnante galerie de portraits de personnalités engagées dans cette aventure où, pour la seule et unique fois de son histoire, le peuple de Paris vole le pouvoir à la classe bourgeoise… qui va le lui faire payer très cher.

Les premiers chapitres sont donc le prolongement du « bachelier », mais ne présentent pas un grand intérêt puisque le sujet a déjà été traité. Ils ont tout de même le mérite de mettre l’accent sur sa difficile carrière de journaliste et à nous préparer au récit qui se fait attendre : son rôle d’insurgé. On s’ennuie un peu dans ce long préliminaire en raison de cette construction bancale et déséquilibrée. Enfin, et ce sera ma dernière critique, Vallès met en scène un nombre tellement important de personnages que, parfois, on ne sait plus qui est qui. Le livre paraîtra difficile à suivre pour qui n’a pas déjà une solide connaissance de l’histoire de la Commune. Mais c’est évidemment un témoignage unique qui nous fait vivre cette révolution au plus près de sa réalité.

Au final nous avons là tout de même une magnifique trilogie qui a sa place dans les classiques de la littérature à côté d’Hugo ou de Balzac, mais dans un style d’écriture résolument plus moderne, plus léger et toujours teinté d’une pointe d’ironie et d’humour. Au fait, j’ai réussi l’exploit involontaire de lire ces livres dans trois éditions différentes : livre de poche pour « L’enfant », Folio pour « Le Bachelier » et Garnier-Flammarion pour « L’insurgé ». L’édition « Folio » est, de loin, la meilleure.

jllb

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