Marie de Régnier

Marie de Régnier

1875-1963

Dans la série femmes extraordinaires, aujourd’hui : Marie de Régnier.

Vous le savez, mes baguenaudes littéraires sont éclectiques. Je les compare souvent à des promenades sans but précis avec, pour seul conducteur, l’envie de découvrir des paysages nouveaux, des petits coins inconnus ou peu fréquentés.

Et puis ma nature curieuse me fait tirer tous les fils qui me passent sous le nez, quitte à dérouler plusieurs pelotes en même temps. C’est ce qui m’arrive en ce moment. Après avoir vu le film Curiosa de Lou Jeunet, j’ai voulu découvrir la vie et l’œuvre littéraire de Pierre Louÿs (voir mon article sur « Trois filles de leur mère »). Puis un ami m’a passé la biographie de Marie de Régnier, écrite par Robert Fleury. Marie fut la maîtresse de Louÿs et, sans doute, la femme qui compta le plus dans sa vie.

Fleury a travaillé comme un acharné pour nous livrer la vie de Marie de Régnier. On la suit presque jour par jour et c’est passionnant. Parce qu’elle est une femme incroyablement vivante, passionnée, libre, totalement à l’aise avec elle-même. Cette liberté d’action et le fait qu’elle soit issue d’un milieu social très élevé où l’on ne regarde jamais à la dépense, l’ont fait passer à côté des luttes féministes : elle était maîtresse de son destin bien avant que les femmes ne s’engagent dans la conquête de leurs droits.

Mais revenons à la genèse. Marie est la fille du grand poète José-Maria de Hérédia, personnalité littéraire importante, grand joueur (autant aux cartes qu’à la bourse), tempérament de cigale et amoureux de ses trois filles : Hélène, Marie et Louise. Les Hérédia tiennent un salon littéraire chez eux tous les samedis. Tous les grands noms s’y pressent. Pas seulement pour y voir le grand poète (qui finira académicien), mais aussi pour la beauté de ces demoiselles. Parmi eux, deux jeunes poètes se disputent les faveurs de Marie : Henri de Régnier et Pierre Louis (qui changera son nom en Louÿs). Gentlemen, ils passent un pacte : ils décident de faire leur cour chacun de leur côté à Marie puis de lui présenter chacun le même jour une demande en mariage. Ainsi c’est elle qui choisira celui qu’elle préfère.

Mais la situation n’est pas si simple. Les Hérédia sont au bord de la faillite. Pierre Louÿs n’a pas de fortune et Henri de Régnier est très riche. Ce dernier trahit le pacte. Il fait sa demande aux parents de Marie et propose d’assumer les dettes du futur beau-père. En réalité, Marie est amoureuse de Louÿs et pas du tout de Régnier. Mais Louÿs ne s’est pas déclaré et les parents de Marie lui mettent une telle pression qu’elle cède et accepte le mariage. Ce qui semble un malheur pour elle s’avérera être le garant de sa liberté. Car elle pose immédiatement ses conditions à Régnier : elle sera sa femme officielle, l’accompagnera dans le monde, mais elle ne lui appartiendra pas physiquement. Et lorsqu’après la noce elle apprend l’histoire du pacte, elle va se jeter dans les bras de Louÿs. Celui-ci hésite. Il la voulait pour femme, pas pour maîtresse. Il s’en ouvre à son frère aîné qui est son confident, lui demande conseil, parle de « deuxième choix déshonorant ». Mais Marie est si belle et si déterminée à apprendre avec lui les choses de l’amour qu’il finit par céder. Il faut dire qu’en matière de sexualité, Louÿs possède déjà un solide bagage : plus de huit cents femmes à son palmarès. Pour la plupart des filles de bordels, putains des quartiers, jeunes ouvrières dont il tient un compte précis. Marie ne sera pas une victime de plus à ce tableau de chasse. Elle est d’une autre classe. Intelligente, vive, passionnée de littérature, elle écrit et publie des poèmes. Elle le fascine et c’est réciproque. Ils ont vingt ans et vont vivre une passion physique et amoureuse extraordinaire. Sous les yeux de Régnier qui accepte tout pour ne pas la perdre. Avec Marie, Louÿs dira atteindre l’apogée de l’amour qu’il décrit dans un poème intitulé « Pervigilium Mortis ». Ils ne font plus qu’un. Il prétend aussi que le « tu » a disparu pour laisser la place à un « nous » qui symbolise la fusion des corps et des âmes. C’est l’amour « total ».

Mais Louÿs se lasse un peu. Il voyage, part en Égypte, en Algérie. Prend d’autres maîtresses dont la très belle Zohra. Il trahit Marie plusieurs fois. Elle lui pardonne tout, mais pour le punir, elle couche avec son meilleur ami, le jeune poète Tinan. Dès lors, leur relation va se compliquer alternant séparations et retrouvailles. Cependant Pierre restera à jamais le grand amour de sa vie. Elle tombe enceinte de lui. Là encore, son mari accepte tout. Henri de Régnier a démarré une belle carrière littéraire de poète et de romancier (il finira également académicien comme son beau-père). Il fait preuve d’un flegme à toute épreuve. Il sait qu’au premier reproche il perdra Marie. Le petit Pierre, surnommé « Tigre » naît en 1898. Elle adorera cet enfant comme elle a adoré son père et le soutiendra jusqu’à sa mort en 1943. (Pierre de Régnier va être un enfant gâté puis va mener une vie de « patachon ». Il écrira quelques poèmes, fréquentera assidûment tous les lieux à la mode, consommera alcool et cocaïne avant de s’éteindre dans les bras de sa mère.)

En cette période de fin de XIXe siècle et de début des années 1900, Marie veut découvrir toutes les facettes de la vie. Les amours saphiques sont à la mode. Elle, qui a connu l’épanouissement sexuel avec Pierre, découvre le charme des amours féminines et multipliera les maîtresses. Toujours sous les yeux de Régnier. Puis, tout au long de sa vie, elle va enchaîner maîtresses (sur lesquelles elle reste discrète) et amants. Parmi les plus connus à l’époque : Henri Bernstein, Gabriele d’Annunzio, François Chaumeix… et bien d’autres cités dans ce livre.

Elle aime et elle écrit. Des poèmes d’abord puis des romans. Mais pas question d’utiliser le nom de Hérédia ni celui de Régnier : son père et son mari sont déjà célèbres. Elle décide de prendre comme pseudonyme Gérard d’Houville en hommage à son ancêtre Girard d’Ouville, arrière-grand-père de sa grand-mère maternelle, seigneur des Trois Rivières, Président du Parlement de Normandie. Son premier roman, « L’inconstante » est un franc succès. Elle va les enchaîner et ne cessera jamais d’écrire. Elle sera la première femme à recevoir le grand prix de littérature de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre, puis plus tard le grand prix de poésie de l’Académie française également pour l’ensemble de son œuvre.

Bref, Marie de Régnier fut une femme extraordinaire et la biographie que nous livre Robert Fleury est un régal pour ceux qui, comme moi, se passionnent pour cette période qui va des années 1870 à la fin des années 1930. Marie sera courtisée par les hommes pratiquement jusqu’à la fin de sa vie. Le portrait d’elle que dresse Fleury fait qu’elle nous paraît irrésistible par sa vivacité, sa gouaille et son amour de la liberté. Homme ou femme, on ne peut que tomber amoureux de Marie de Régnier.

Marie de Régnier
Robert Fleury
Préface de Geneviève Dormann
Éditions Tallandier

PS : j’ai commandé quelques-uns de ses romans dont je vous ferai le compte-rendu…

jllb

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