Nicole et son Métèque
Jeanne Landre
France Édition 1924
Pas sûr que ce titre ferait un succès aujourd’hui. Il faut resituer l’affaire dans le contexte de l’époque (années 1900) où le racisme colonialiste décomplexé était largement de mise en France (ce qui perdure dans une moindre mesure de nos jours, hélas). Mais les mots de « métèque » ou de « nègre », bien que fondamentalement xénophobes, n’avaient pas la valeur d’insulte qu’ils portent désormais. Ils prêtaient plutôt à sourire, telle l’image du « bon nègre Banania » qui a définitivement disparu des boîtes de cacao en… 2011 ! (En fait, elle a été supprimée à la fin des années 70 avant de revenir sous forme stylisée en 2005 et d’être mise au rebut en 2011).
Nicole Le Hardin, jeune et jolie bourgeoise vit heureuse avec son mari Gaël, mais les mauvais placements financiers de celui-ci les ont jetés dans les affres des difficultés financières. Invités chez leurs amis les Mancillois, ils font la connaissance de Dueros-Puegobez. On ne sait trop d’où vient ce personnage mondain (Espagnol, Portugais ou Américain du Sud ? s’interroge Nicole) mais il distrait le Tout-Paris. Riche à millions, ce sympathique « métèque » vit du commerce de l’art et vent toiles et statues de maîtres qui font partie de sa collection personnelle. Et voilà comment Jeanne Landre nous brosse le portrait du métèque en question : « Blanc de peau, noir de poil, les gestes arrondis, la parole sucrée, habillé à la mode de demain, fanatique de littérature hermétique et de musique tchécoslovaque, amateur éclairé et critique obscure, Dueros-Puegobez était un mélange de Don Juan, de mécène et de marchand de pâte à rasoir, donc une personnalité bien parisienne. » (Quel style, cette Jeanne Landre…)
Séduit par Nicole et devinant sa situation financière précaire, il propose de l’engager comme « commerciale » pour le représenter auprès de riches acheteurs et collectionneurs. Ce qu’elle accepte avec joie et, très rapidement, elle connaît un véritable succès dans ses affaires. L’argent coule à flots de nouveau. Pourquoi, se demande-t-elle, Dueros-Puegobez qui avoue favoriser cette première vendeuse par amour pour elle ne cherche-t-il pas à pousser son avantage plus avant et garde ses distances devant les avances de la jeune femme ? Car Nicole, bien que fidèle, aime aguicher les hommes et supporte mal que ce « rastaquouère » résiste à son charme. Elle lui arrache un baiser, mais il refuse d’aller plus loin.
Elle finit par s’agacer de la résistance de son nouveau patron qui l’a rendue riche à nouveau et qu’elle considère désormais comme un génie. Elle nous livre le fond de sa pensée : « En somme, on exagérait en le prenant pour un mélange de nègre, de singe et de cacatoès… ».
Cependant, elle pense toujours pouvoir le manipuler grâce à sa beauté, mais elle s’apercevra bientôt à ses dépens que c’est plutôt « le métèque » qui tire les ficelles…
À noter que le roman est agrémenté de quelques jolies illustrations d’Henri Armengol (1884-1944), dessinateur et caricaturiste qui travailla pour de nombreux journaux humoristiques (Le Rire, Frou Frou) et pour de nombreux éditeurs dont Ferenczi.