Une année exemplaire
Lisa Mandel
Auto-édition : lisamandel.fr
Je n’avais jamais entendu parler de Lisa Mandel, dessinatrice de BD et puis un petit article dans Le Monde a éveillé ma curiosité. L’auteur parlait carrément de la BD la plus drôle de l’année. Je me suis dit qu’il exagérait peut-être un chouille, qu’il était sous le coup de l’émotion, mais, ma curiosité l’emportant, j’ai voulu en savoir plus. D’autant qu’il ajoutait que l’autrice avait choisi l’auto-édition pour son livre intitulé « Une année exemplaire ».
Mon esprit chevaleresque m’a aussitôt poussé à soutenir cette initiative. J’ai visité le site de Lisa Mandel (lisamandel.fr) : 20 € pour un livre de 400 pages, c’est franchement pas cher payé ! (Du coup j’ai opté pour la version à 35 € avec une dédicace dessinée de l’autrice, en me disant que ce serait plus de plaisir même si ça pompe un peu sur ma retraite et que ça lui ferait des sous en plus).
Le livre est arrivé. Je viens d’en tourner la dernière page et, ouaouh, j’en ai vraiment eu pour mon argent. C’est top, je me demande même si je ne vais pas en acheter un deuxième pour offrir à quelqu’un à Noël. Bon allez, assez de prolégomènes, je rentre dans le vif du sujet.
Lisa Mandel est pleine d’idées, ça déborde, même quand elle a l’air en panne, elle finit toujours par en trouver une. Donc voilà qu’elle se fiche en tête de vivre une année exemplaire. Entendez par là qu’elle se donne 365 jours pour venir à bout de ses addictions : la bouffe grasse et trop sucrée, la clope, l’alcool, les jeux vidéo débiles. Et elle s’engage à nous faire vivre ce challenge en publiant tous les jours une planche dessinée sur les réseaux sociaux. Ce qu’elle a fait, de juin 2019 à juin 2020. Zut, n’étant pas au courant, j’ai raté ce feuilleton qui a tout de même rassemblé quotidiennement près de 25 000 personnes. Mais chouette, j’ai tout le paquet de planches d’un seul coup.
Lisa (je ne la connais pas personnellement, mais je me permets de l’appeler par son prénom parce que j’en sais plus sur sa vie que sur celle de ma cousine Christine) nous fait partager son quotidien et ses interrogations existentialistes (ou « existentielles » au choix, barrez le mot qui ne vous convient pas). Elle se plaint de son physique, sa tête et son cul en prennent pour leur grade. Elle en veut à cette société qui iconise la femme mince et svelte. Donc, en route pour la salle de sport. Elle souffre et sue et se donne à fond pour des résultats qui ne sont carrément pas à la hauteur de ses espérances. Coup de blues, craquage : elle tape à nouveau dans les sucreries, rejoue un peu, mais culpabilise à fond. Elle tiendra cependant le choc sur trois de ses engagements (elle a rédigé une charte en vingt points !) : pas de clope, pas d’alcool et une page de BD par jour. C’est déjà une très belle réussite.
D’autant que les 400 pages ne sont pas seulement consacrées à nous narrer sa lutte contre les addictions. Lisa vit avec Léna, une Libanaise. (Tiens, c’est le troisième bouquin de lesbienne que je lis en trois semaines, après celui d’Alice Coffin et celui de Constance Debré. Trois styles différents, c’est de loin le plus drôle, mais j’aime bien les deux autres aussi si vous avez lu ma prose sur chacun d’entre eux). Les voilà parties toutes les deux au Liban au moment où commencent les manifestations contre le gouvernement de pourris qui se gave d’un côté et fait flamber les taxes de l’autre. (Quand on pense que Saad Hariri revient au pouvoir, c’est désespérant). On a donc droit à une série de planches sur ce séjour oriental à la fois désopilantes et très touchantes, parce qu’ancrées dans la réalité. Elle raconte, elle témoigne, elle analyse un peu, elle nous émeut, elle nous fait rire, c’est bien.
Dans ce livre, vous trouverez également : le compte-rendu de son voyage au Niger (où elle a failli rester bloquée à cause du Covid), le récit du confinement à Marseille avec Léna, ses relations avec les psys, ses problèmes d’épilepsie, ses angoisses de créatrice et bien d’autres choses. L’ensemble est très humain et très réussi. Je dirais même que c’est addictif (et là c’est franchement le comble pour un livre sur l’addiction, mais ça fait un peu comme pour les séries débiles dont on n’arrive pas à se déventouser le regard). Il y a beaucoup de texte à lire, son style de dessin, bien que personnel, est dans la veine de Lefred-Thouron, de Reiser et de Quino (le père de Mafalda RIP), secouez le tout et vous aurez une idée. Mais sa maîtrise du récit et son humour n’appartiennent qu’à elle. J’ai passé de belles heures de lecture et, du coup, j’ai commandé un autre album d’elle, j’en parlerai plus tard.
Au final : je conseille, je recommande, j’incite, j’engage, j’exhorte, je prêche, je suggère, je pousse, je propose. À vous de jouer, sortez de vos poches un billet de vingt balles.