Confidences de femmes – Annie de Pène

Confidences de femmes – Annie de Pène

Annie de Pène est une femme touchante et son parcours de vie mérite d’être résumé (puisque sa fiche Wikipédia est quasiment vide). Fort heureusement une universitaire, Dominique Bréchemier, lui a consacré une thèse extrêmement documentée (publiée chez l’Harmattan).

Je connaissais Annie de Pène par l’entremise de Colette dont elle était la grande amie et qui en parle dans ses souvenirs. Dominique Bona l’évoque de nombreuses fois dans son ouvrage « Colette et les siennes » (que j’ai chroniqué ici : https://jeanlouislebreton.com/?p=1453). Et si sa vie, trop courte hélas, est intéressante c’est qu’elle fut journaliste, éditrice et écrivaine avant d’être fauchée par la grippe espagnole le 14 octobre 1918, à l’âge de 47 ans.

« Annie de Pène » était en fait le nom de plume de Désirée Joséphine Poutrel, née à Bonsecours en 1871 d’un père mort une semaine avant sa naissance et dont on n’était pas vraiment sûr qu’il fut son géniteur… (« Pène » était le nom de ce père supposé). Mariée, puis divorcée dix ans plus tard, elle se rend seule à Paris alors qu’on lui a retiré la garde de ses deux enfants. Elle ouvre une librairie dans le 7e arrondissement, vend des livres cathos pour jeunes filles de bonne famille puis se lance dans l’édition avec la création de la revue « Le Lys », feuille conservatrice et bigote pour adolescentes fortunées. Mais sa rencontre avec Gustave Téry, le fondateur de « L’œuvre » (hebdomadaire puis quotidien) va bouleverser sa vie. Téry est fondamentalement républicain, dreyfusard et radical-socialiste. Annie de Pène effectue un virage à 180° et commence à s’intéresser à la politique, aux affaires sociales et à la condition des femmes. Elle est bien placée pour en parler. Elle publie de très nombreux articles, des critiques de pièces de théâtre ou de romans, mais aussi des reportages. Avec l’arrivée de la guerre, son talent éclate. Elle n’hésite pas à prendre des risques, se rend sur le front et rend compte, sans quasiment être censurée, de la dureté des combats et surtout du rôle des femmes dans le conflit. C’est ainsi qu’elle publie « Une femme dans la tranchée » en 1915 et « Chronique de l’arrière » entre 1915 et 1918. Se lançant des défis, elle décide d’aller porter un bouquet de fleurs à la reine de Belgique en traversant la zone du front où les combats font rage. Elle y parvient, revient en France et rapporte des témoignages sur les atrocités que les soldats prussiens exercent sur les civils.

Pendant cette période, et jusqu’à la fin de la guerre, elle se fait de nombreux(ses) ami(e)s dans le mouvement littéraire et journalistique dont Marguerite Durand (éditrice de « La Fronde »), Henry de Jouvenel (le deuxième mari de Colette), Henry Barbusse et Colette, bien sûr.

En dix ans, (de 1908 à 1918) elle publie environ sept romans. « Confidences de femmes » est l’avant-dernier, paru en 1916. Annie de Pène y étale les états d’âme des femmes confrontées à des amours passionnelles et à des ruptures tempétueuses. Elle y décrit avec brio l’aveuglement de l’amour puis la chute brutale lorsque celui-ci disparaît et comment celui que l’on considérait comme un héros redevient d’un seul coup d’une si banale platitude qu’on se demande comment on a pu l’aimer. Elle montre aussi certains travers féminins. Comme cette femme courtisée par un garçon qu’elle n’aime pas, mais dont elle parvient à se faire un ami et un confident et qui pleure de jalousie le jour où celui-ci lui avoue qu’il en aime une autre. Non pas parce qu’elle l’aime soudainement, mais… « Je n’aurais pas voulu, comprenez-vous, je n’aurais pas voulu qu’il aimât une autre femme… ». Tellement humain…

Si ce livre reste un petit divertissement littéraire assez mineur, il est tout de même joliment illustré par Donilo.

jllb