Sido
Colette
Je ne résiste pas au plaisir de vous faire partager un extrait de « Sido », le très joli livre de Colette dans lequel elle évoque sa mère (Sido), son père (le capitaine Colette) et se deux frères (Achille et Léo).
Ce passage concerne Léo, enfant insaisissable et libre.
***
« Oui, un petit garçon si inoffensif qui n’exigeait rien sauf un soir…
— Je voudrais deux sous de pruneaux et deux sous de noisettes, dit-il.
— Les épiceries sont fermées, répondit ma mère. Dors, tu en auras demain.
— Je voudrais deux sous de pruneaux et deux sous de noisettes, redemanda, le lendemain soir, le doux petit garçon.
— Et pourquoi ne les as-tu pas achetés dans la journée ? se récria ma mère impatiente. Va te coucher !
Cinq soirs, dix soirs ramenèrent la même taquinerie, et ma mère montra qu’elle était une mère singulière. Car elle ne fessa pas l’obstiné, qui espérait peut-être qu’on le fesserait, ou qui escomptait seulement une explosion maternelle, les cris des nerfs à bout, les malédictions, un nocturne tumulte qui retarderait le coucher…
Un soir après d’autres soirs, il prépara sa figure quotidienne d’enfant buté, le son modéré de sa voix !
— Maman ?…
— Oui, dit maman.
— Maman, je voudrais…
— Les voici, dit-elle.
Elle se leva, atteignit dans l’insondable placard, près de la cheminée, deux sacs grands comme des nouveau-nés, les posa à terre de chaque côté de son petit garçon et ajouta :
— Quand il n’y en aura plus, tu en achèteras d’autres.
Il la regardait d’en bas, offensé et pâle sous ses cheveux noirs.
— C’est pour toi, prends, insista ma mère.
Il perdit le premier son sang-froid et éclata en larmes.
— Mais… mais… je ne les aime pas ! sanglotait-il.
“Sido” se pencha, aussi attentive qu’au-dessus d’un œuf fêlé par l’éclosion imminente, au-dessus d’une rose inconnue, d’un messager de l’autre hémisphère :
— Tu ne les aimes pas ? Qu’est-ce que tu voulais donc ?
Il fut imprudent et avoua :
— Je voulais les demander. »
***
Merveilleux, n’est-ce pas ?
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