Colette et Renée Vivien

Colette et Renée Vivien

Dans « Le pur et l’impur », Colette consacre un chapitre entier à sa relation avec la poétesse Renée Vivien. Les deux femmes habitaient à quelques maisons de distance, mais, curieusement, c’est toujours Colette qui rend visite à Renée et pas l’inverse (du moins dans le récit qu’elle en fait).

On sent Colette intriguée par le personnage de cette jeune femme franco-anglaise qui a choisi de faire sa carrière à Paris, capitale de la mode et de la littérature. Elle est riche et vit librement ses amours saphiques, partagée entre Natalie Barney et Hélène de Zuylen. Colette a-t-elle eu une liaison avec Renée Vivien ? C’est possible, mais pas certain. « Le pur et l’impur » est publié en 1932, vingt-trois ans après la mort de Renée Vivien (1909). Colette dit qu’à cette époque elle possède encore une trentaine de lettres de Renée, qu’elle en avait beaucoup plus, mais qu’elle les a données à des fanatiques de la jeune femme. Preuve qu’il existait entre elles une assez forte intimité.

Peut-être a-t-elle couché avec elle par curiosité et parce que le « cosmopolitisme »* était en vogue avant la Grande Guerre, mais une chose est certaine : elle n’en était pas amoureuse. Elle la trouvait belle et charmante, mais trop dingue à son goût et, surtout, victime des sens et de la volupté. Renée Vivien mangeait très peu, faisait souvent l’amour et buvait beaucoup (des cocktails corsés de sa composition). Colette avait les pieds sur terre et n’aimait pas ce genre d’excès.

Voici un extrait du texte de Colette. Elle est invitée chez Renée Vivien qui lui sert à boire :

« Elle porta à ses lèvres, entre autres, un verre empli d’un trouble élixir, où flottait une cerise harponnée d’un cure-dent… Je lui mis la main sur le bras :

— Ne buvez pas…

Elle ouvrit grand les yeux, et les cils de sa paupière d’en haut touchèrent ses sourcils.

— Pourquoi ?

— Je l’ai goûté, dis-je avec embarras. C’est… Ce n’est pas buvable… Faites attention… C’est je ne sais quel vitriol…

Je n’osais pas lui dire que je soupçonnais une farce sournoise. Elle rit, montra toutes ses dents fraîches :

— Mais ce sont mes cocktails, mon pethtit Coletthe. Ils sont excellents.

Elle vida le verre d’un trait, ne haleta ni ne cilla, et sa joue arrondie garda sa florale blancheur. »

Colette n’aimait pas trop, non plus, la poésie de Renée Vivien. Elle le dit clairement : « Renée Vivien a laissé des vers nombreux, d’une grâce, d’une force, d’un mérite inégaux, inégaux comme le souffle humain, comme les pulsations de la douleur humaine. Le culte qu’ils chantent attira sur eux la curiosité, puis l’engouement ; aujourd’hui ils ont désarmé l’indignation même des plus bas moralistes — et c’est un sort que je n’aurais osé leur promettre s’ils n’avaient chanté que l’amour de Chloé pour Daphnis, car le plus bas moraliste suit les modes et fait parade de largeur d’esprit. En outre, l’œuvre de Renée Vivien habite une région de tristesse élevée, où les “amies” rêvent et pleurent autant qu’elles s’y enlacent. Admirablement au fait de notre langue, rompue aux rigueurs du mètre français, Renée Vivien trahit sa qualité d’étrangère — c’est-à-dire l’assimilation ralentie des chefs d’œuvre français — en n’exsudant son baudelairisme qu’entre les années 1900 et 1909. C’était, pour nous autres, un peu trop tard. »

Voilà qui est bien vachard puisque Colette l’attaque trois fois : elle attribue son succès à un phénomène de mode parce que Vivien parle de ses amours lesbiennes, elle prétend qu’elle n’a pas bien assimilé la culture française et elle assène le coup de grâce en disant qu’elle trouve son style trop vieillot… Elle avait au moins raison sur un point : les modes vont et viennent et, il semblerait qu’en ce début de 21e siècle, Renée Vivien soit revenue à la mode.

Toujours excessive, Renée Vivien se confie librement à Colette et lui raconte crûment ses liaisons féminines, n’omettant aucun détail. Ce qui déplaît fort à la grande écrivaine qui finit par la recadrer : « Je crois que je dis à Renée que certaines libertés de propos lui allaient comme un haut-de-forme à un singe… ».

Vexée, Renée Vivien lui envoie un billet assassin le lendemain : « Vous m’avez gravement offensée hier soir, Colette. Je ne suis pas de celles qui pardonnent. Adieu.
Renée. »

Puis, deux heures après, un autre billet : « Pardonnez-moi, mon petit Colette, je vous ai écrit Dieu sait quoi. Mangez ces belles pêches à ma santé et venez vite me voir. Venez dîner le plus tôt que vous pouvez et amenez nos amis. »

Enfin, pour conclure ce papier sur les relations entre Renée Vivien et Colette, voici comment cette dernière résume son avis sur les gens qui s’adonnent à la drogue et au sexe sans limites : « Je suis hostile aux consumés. La consomption volontaire m’apparaît toujours comme une sorte d’alibi. J’ai peur qu’il n’y ait pas assez de différence entre l’habitude de la volupté et, par exemple, l’habitude de la cigarette. Un fumeur, une fumeuse, introduisent et excusent l’oisiveté dans leur vie autant de fois qu’ils allument une cigarette.

L’habitude voluptueuse, quoique moins tyrannique que celle du tabac, arrive à s’imposer. Ô plaisir, bélier qui te fêle le front et qui recommence ! »

* À la Belle-Epoque, on utilisait le terme de « cosmopolitisme » pour qualifier les amours lesbiennes.

Renée Vivien
jllb