Comme tout le monde

Comme tout le monde

Comme tout le monde
Lucie Delarue-Mardrus
Tallandier 1910

Journaliste, romancière, poétesse, sculptrice et dessinatrice, Lucie Delarue-Mardrus (1874-1945) a marqué son époque, même si elle est aujourd’hui oubliée du grand public. Née dans le milieu de la bonne bourgeoisie normande (son père est avocat), elle reçoit une solide éducation complétée par l’apprentissage de l’anglais et de la musique.

Ses parents refusent qu’elle épouse le jeune capitaine Philippe Pétain (oui, celui qui deviendra le maréchal « nous voilà »…). Elle se marie donc avec un homme de lettres orientaliste, Joseph-Charles Mardrus avec qui elle effectue de nombreux voyages. De ces déplacements, elle tirera d’intéressants reportages qui lui permettront de démarrer une carrière littéraire.

Mais Lucie est attirée vers les femmes et son couple éclate. Elle entretient des relations amoureuses avec Natalie Barney (décidément, cette Américaine aura couché avec tout Paris), Romaine Brooks ou Germaine de Castro.

En attendant d’en apprendre un peu plus sur sa vie, deux de ses livres me passent entre les mains et  j’entame leur lecture avec curiosité… Mais ils vont me décevoir. Le premier est le texte d’une conférence qu’elle a tenue en 1921 au théâtre de la Renaissance sous le titre « Aurel et le procès des mondains ». Elle y prend la défense d’Aurélie Octavie Gabrielle Antoinette de Faucamberge (respirez bien c’est une seule et même personne) dite « Aurel » (1869-1948), salonnière et auteure de nombreux romans sur le couple et l’amour. Lucie l’encense et explique que personne comme Aurel n’a su cerner le caractère féminin dans ses œuvres. Elle s’indigne qu’on puisse la moquer et pour prouver son talent, elle cite de nombreux extraits de ses œuvres. Las, c’est terriblement banal, fleur-bleue ou eau de rose au choix, et carrément casse-bonbons. Voulant la défendre, elle ne fait que l’enfoncer (à mes yeux du moins).

J’enchaîne ma lecture avec un roman écrit en 1910 : « Comme tout le monde ». Dix ans après son mariage ce texte est le tableau le plus sombre du couple et de la famille qu’il m’ait été donné de lire. Pas étonnant qu’elle se soit empressée de divorcer dans sa vie personnelle. Je vous en fais le résumé.

Isabelle Chardier a épousé Léon jeune avoué dont elle a deux enfants : Louise dite « Zozo » et le petit Léon dit « Petit Lion ». L’histoire débute lorsque le jeune couple vient s’installer en région parisienne ou Léon a racheté une charge d’avoué. Apparemment tout baigne : un mari qui apporte des revenus confortables, deux enfants, une maison, une bonne, une cuisinière : Isabelle a tout pour être heureuse comme tout le monde. Mais voilà, elle s’ennuie. Elle n’aime pas son mari, elle « l’aime bien ». Et puis, passé la période des fiançailles, il s’avère pantouflard et plus préoccupé de son travail que de faire le bonheur de sa femme. Au château du village vit un couple de nobles : le marquis et la marquise de Taranne-Flossigny qui ne tardent pas à confier la gestion de leurs affaires à Léon. Le marquis porte bien et il impressionne Isabelle par sa prestance. C’est un coureur de jupons, mais elle ne le sait pas. Éblouie, elle tombe amoureuse de lui qui veut en faire sa maîtresse. Elle hésite, se torture et finalement renonce et ne lui cède pas de peur de porter le trop lourd fardeau de l’adultère. Pour s’autopunir, elle se jette dans les bras de son mari et se fait faire un troisième enfant. Quinze ans plus tard, elle a grossi, vieilli, et sa vie est un désenchantement quotidien. Elle regrette de ne pas avoir cédé au marquis jusqu’au jour où elle apprend qu’il sautait toutes les femmes du coin et que, de dépit, son épouse a fini par se suicider. Dans la foulée, son fils Léon, dont elle ne s’est jamais vraiment occupée parce qu’il était renfermé, meurt d’une pneumonie. Elle découvre alors qu’il avait écrit des tas de poèmes et qu’il était fou d’amour pour elle sans qu’elle ne s’en soit jamais aperçue. Encore un raté. Et, cerise sur le gâteau, elle s’aperçoit que son mari la trompe… depuis cinq ans ! Scènes de ménage, amertume et incompréhension mutuelle viennent clore ce récit grisâtre.

On comprend bien pourquoi ce dézingage en règle du mariage a été écrit au moment où Lucie Delarue-Mardrus était elle-même en plein divorce. Deux mots maintenant sur l’écriture qui est particulièrement affligeante : pas de style, histoire délayée, très mauvaise concordance des temps (on saute sans cesse du passé au présent dans la même phrase). S’il n’y avait ce fond de réflexion sur la nature même du mariage et du couple, ce livre passerait pour un banal récit de littérature sentimentale. Grosse déception : Lucie n’est pas dans le ciel avec des diamants !

jllb