Un mois chez les filles

Un mois chez les filles

Un mois chez les filles
Reportage
Maryse Choisy
Stock 1928

Maryse Choisy n’a pas sa langue dans sa poche : pour elle, un cul est un cul, un sexe est un sexe. Pas de fioritures ni de circonvolutions littéraires dans ce livre-reportage sur les bordels parisiens et le milieu de la prostitution à la Belle Époque. C’est écrit avec tellement de naturel et dans un parler qui a si peu vieilli, qu’on dirait que le livre date d’hier.

Ce qui a changé, en revanche, ce sont les maisons closes. En 1928, elles faisaient florès dans la capitale. Après 1945 et la loi Marthe Richard, elles ont disparu de la vie des Français. Est-ce un bien ou un mal ? Maryse Choisy pose la question à la fin de son texte : « faut-il les fermer » ? Et elle répond par l’affirmative. Pour elle, les claques sont le symbole de la misère affective et sexuelle. L’amour sans amour, ce n’est pas son truc. « Fermons-les, quitte à remettre les filles dans la rue ». On voit que c’est toujours d’actualité et que rien n’est tranché en ce qui concerne le « bon » ou le « mauvais » de cette décision qui prévaut toujours aujourd’hui.

Venons-en à ce qu’elle appelle son « reportage ». Quelles sont ses motivations ? Apparemment, elle est mue par la seule curiosité. C’est ce qu’elle dit. Et comme non seulement elle ne craint rien, mais que de plus elle aime flirter avec le danger, elle se met volontairement dans des situations difficiles. Dont elle sort déçue, car la réalité de la prostitution n’a rien à voir avec la vision fausse et romancée qu’en donnent les auteurs à la mode de l’époque, comme Marcel Prévost ou les frères Margueritte. Elle se fait passer pour une oie blanche en quête d’un maquereau et tombe sur un monsieur très bien élevé. Il lui propose, certes, de travailler pour lui et lui promet les meilleures places et la meilleure rentabilité de son corps : jolie comme elle est, elle ira faire fortune au « Chabanais », le bordel le plus chic de Paris. Il est correct, ne la brusque pas, lui laisse le temps de réfléchir et de prendre sa décision. Elle est déçue. Où est l’homme ? Le vrai ? Le marlou ? En manque d’émotion forte, elle en arrive à conclure sur une aberration : « je ne suis pas sûre que je n’eusse pas aimé un vrai viol ». Plus tard, elle se fait passer pour une prostituée et monte dans la chambre avec un étudiant, mais elle refuse de coucher, lui rend son argent et lui confie qu’elle n’aime pas l’amour. Elle a juste envie de discuter. Ce qu’il accepte volontiers.

Maryse fait la tournée des claques sous de faux noms. On l’embauche comme bonne à tout faire ou comme sous-maîtresse. Elle brosse des portraits des filles de joie qui sont assez criants de vérité. Elle constate que, dans leur métier, la plupart d’entre elles se comportent comme des petites bourgeoises ou des demi-mondaines et qu’elles s’imposent des règles très strictes. Bref, on est loin des mœurs débridées que l’on pourrait imaginer. Elle est déçue.

Elle va partout : dans les lupanars de province (ah, la douce ambiance familiale), dans les boîtes « de pédérastes », dans les bastringues pour lesbiennes, dans les bobinards où des hommes se prostituent pour des femmes. Elle rencontre, elle observe, elle participe, elle danse… sans préciser si elle franchit le cap ou non. Elle aime frôler le danger. Elle ramène une lesbienne chez elle, mais elle la saoule pour ne pas avoir à coucher avec elle… dit-elle.

Au final, cette aventurière du sexe constate avec une certaine amertume que le commerce des corps est bien illusoire et, par maintes allusions, on sent qu’elle va se tourner vers Dieu (ce qui finira par réellement arriver dans sa vie…)

Certes, on aura fait une intéressante balade dans le milieu interlope, mais le « soi-disant » reportage de Maryse Choisy m’a laissé sur ma faim. Je le conçois plus comme un coup « médiatique » (elle vendra 450 000 exemplaires de son livre) que comme un vrai travail de journaliste. Par exemple, elle ne dit rien des maisons d’abattage où les femmes étaient traitées pire que des esclaves. C’est juste une agréable pochade, bien écrite par une sale gosse qui joue avec les allumettes. On passe un bon moment de lecture. Juste un petit bon moment. Tarifé pas trop cher.

jllb