Fil de Fer
Jehan-Rictus
1906
« On l’appelait Fil de Fer à cause de sa taille qui n’en finissait pas et de sa maigreur qui était terrible ». Dans ce livre autobiographique, Jehan-Rictus (1867-1933), né « Gabriel Randon de Saint-Amand » nous conte sa jeunesse en compagnie de sa mère qui l’a élevé seule et battu comme plâtre.
Né de père inconnu, le futur poète des ouvriers qui écrivit des textes poignants en utilisant l’argot de Montmartre est issu d’une famille noble. Sa mère, Gabrielle Randon de Saint-Amand était la fille d’un garde de Charles X qui avait épousé sa gouvernante anglaise. Elle fut élevée à Londres, mais perdit très tôt ses parents et revint s’installer en France avec l’idée d’y faire une carrière dans le théâtre ou la littérature.
Elle y rencontra un Français, le père de son enfant, avec qui elle vécut une relation orageuse et qui finit par l’abandonner. Le jeune Gabriel se retrouva donc seul avec cette mère rongée par le ressentiment, obligée de l’élever alors qu’elle le considérait comme un obstacle à son succès.
Dans ce roman autobiographique, Jehan Rictus apparaît sous le pseudonyme de « Fil de Fer » et sa mère sous le nom de « Madame de Saint-Scolopendre », marquise de Tirlipapan Ribon-Ribette. Elle ne cesse de l’abreuver d’injures, le traite d’imbécile, de chameau, de fainéant, de crapule, d’hypocrite, de salaud et d’une foultitude de noms d’oiseau. Tout est prétexte à l’humilier et à le frapper, avec tant de violence qu’il devient sourd d’une oreille après une empeigne trop brutale. L’enfant encaisse, subit, se tait, ne se plaint pas et pense que c’est le lot commun que d’être ainsi traité par sa mère. Mère qui ne cesse de lui dire qu’elle est la plus belle femme, la plus intelligente, la plus douée et qu’il est responsable de son infortune. Il va traîner cette culpabilité toute sa vie, même lorsqu’il finira par échapper à l’emprise de cette femme-vampire et cruelle.
Le livre est structuré en 58 chapitres qui sont autant d’anecdotes de l’enfance douloureusement malheureuse de Jehan Rictus. Pour autant, il ne s’apitoie pas sur son sort et son style plein d’humour rend le constat encore plus amer : il aimait cette femme qui le maltraitait au plus haut point ! On est pris au cœur et aux tripes devant ce drame de l’enfance mis en images avec tant d’optimisme et de féroce réalisme.