Ce qu’on dit au fumoir

Ce qu’on dit au fumoir

Ce qu’on dit au fumoir
L’affaire Henry (de) Lucenay
Marie-Léonie Devoir — Jean-Louis Le Breton
Éditions Panache — 300 pages — 21 €

À commander ici : http://editions-panache.com/produit/ce-quon-dit-au-fumoir-laffaire-henryde-lucenay/

Une perle rare : la mystérieuse amie de Colette…

Dans ses mémoires, la grande écrivaine Colette parle de ses amis et, en particulier, d’une certaine jeune femme, « petite-fille du marquis de Saint-Georges » qui signait des romans d’aventures sous le nom de « Henry de Lucenay » et qui a terminé sa vie, seule, pauvre, au coin d’un feu de pension de famille.

Lorsque, piqué par la curiosité, j’ai cherché à en savoir plus sur cette auteure, je me suis aperçu qu’elle n’était pas référencée sur Wikipédia et qu’on ne trouve quasiment aucune trace d’elle sur le net. Je me suis aussitôt lancé dans une passionnante enquête littéraire qui m’a mené de Paris au Sud-Ouest de la France. J’ai pu retracer pas à pas la vie de cette femme que la postérité a totalement oubliée.

De plus, je vous offre une série de nouvelles de madame de Lucenay alias « Marie-Léonie Devoir », regroupées sous le titre « Ce qu’on dit au fumoir », totalement inédites depuis 1883, et qui montrent l’étendue de son talent littéraire.

Ce recueil de onze nouvelles est originellement paru aux éditions Rouveyre et Blond. La plupart de ces textes ont été publiés (généralement découpés en plusieurs épisodes) à partir de 1878 dans des magazines comme La Liberté ou Le Petit Parisien. Les neuf premières nouvelles sont assez courtes, les deux dernières, « L’amant de marbre » et « Rien des agences » sont de petits romans. Elles ont été écrites alors que Marie-Léonie était âgée de moins de trente ans.

C’est leur lecture qui m’a incité à les republier. Le style est alerte, les récits prenants et l’ensemble ne manque pas d’un certain humour.

La première nouvelle détonne parce qu’elle est la seule à se dérouler dans un milieu pauvre : la mère est une prostituée qui vend son corps à un marchand pour pouvoir élever sa fille. Fille qui se tourne vers la religion… Marie-Léonie Devoir dépeint assez habilement le sordide de la situation sans toutefois porter de jugement moral définitif sur l’un ou l’autre des personnages.

Le ton change, dès la deuxième nouvelle. Nous voilà dans le monde huppé de l’aristocratie, avec ses hypocrisies et ses querelles intestines que l’autrice moque et dénonce. C’est pourtant ce monde auquel elle aurait voulu appartenir. Toutes les personnes l’ayant rencontrée ont parlé de son allure à la fois fière et réservée de femme du monde. « Une petite dame de visage fin, très Louis XV, portant la poudre, d’une tristesse pleine de charme, une silhouette comme on en voit sur les couvercles de bonbonnières » dit d’elle Rachilde dans Le Mercure de France du 15 mars 1907. Femme du monde, certes, mais qui finira seule et pauvre dans une pension de famille. Ce n’est sans doute pas le destin dont elle avait rêvé.

Deux nouvelles sont franchement inspirées de la littérature anglaise du XIXe siècle : « Le thé du docteur » et « L’agonie d’un criminel ». Il y a du Dickens et du Edgar Poe dans ces deux récits.

« L’amant de marbre » résonne comme un texte prémonitoire de ce que sera le mariage de Marie-Léonie avec Eugène Vidal. Enfin « Rien des agences » est une plaisante satire des mariages arrangés.

Marie-Léonie possédait un réel talent de plume. Malheureusement celui-ci n’a pas pu s’épanouir, sans doute en raison de son mariage raté.

La réédition de ce livre permettra aussi de le faire entrer à la Bibliothèque Nationale de France, démarche que ses éditeurs avaient omis de faire…

jllb