Jean-Michel Ucciani
Revue Artistes n° 17 — février-mars 2021
Décidément, la revue Artistes n° 17 recèle de pépites. Hier soir, je n’avais pas poussé la lecture du magazine jusqu’à son terme. J’étais déjà très heureux des six pages consacrées à mon amie Françoise Amadieu. Or voilà qu’un autre ami, Jean-Michel Ucciani, me passe un savon virtuel : « Tu pourrais aussi recommander ton vieux copain marseillais quand même… Mon nom est en couverture et je suis aux pages 26 à 29… » What ? Surprise ! Mais oui ! C’est vrai ! Il est bien là, lui aussi dans ce numéro !
Alors deux mots sur Ucciani. Je l’ai connu dans les années 80, époque où il créchait à Paris rue du faubourg Poissonnière. Il partageait un appartement avec un autre pote marseillais venu chercher fortune à Paris. Il avait fait une école d’arts plastiques et tentait de se faire un nom dans la BD. Je commençais à publier mon petit magazine « Lard-Frit » et nous nous sommes rencontrés par l’intermédiaire de Frémion, alors spécialiste de la BD, avec qui nous avions formé un groupe de rock improbable les « Los Gonoccocos », et dont le carnet d’adresses égalait en épaisseur la taille du bottin mondain. Frémion me recommanda chaudement ce jeune qui débutait.
Ucciani était un garçon aux cheveux frisottés, plein d’humour, particulièrement râleur, un peu isolé du monde à cause d’un problème d’oreille, et (comme nous tous) avec un sens prononcé de la fête. Nous avons partagé ensemble des soirées endiablées dans le café de Ménilmontant que je possédais alors et que j’avais transformé en habitation privée. J’avoue que nous avons vidé quelques bouteilles, plus que de raison. Nous étions jeunes et assoiffés de vivre (dans tous les sens du terme). Lui s’est quelque peu assagi depuis, mais moi j’ai conservé ma passion pour les bons vins (et désormais pour le Floc). Jean-Michel m’a abondamment fourni en dessins pour Lard-Frit entre 1982 et 1984. Autant d’images pieuses que les enfants de chœur cachaient dans leur missel pour se tripoter pendant la messe. Nous sommes descendus ensemble à Angoulême en 84, année du couronnement de Lard-Frit sacré « Alfred-Fanzine ». Faute de place dans les hôtels nous avons dû partager la même chambre et le même lit, chacun de nous ronflant sur son bord de ravin, mais lui s’en fichait car il n’entendait pas bien. J’ai le souvenir de quelques soirées avec la bande de Nancy, Lefrted-Thouron en tête, et je dois bien garder dans un coin quelques croquis déchirés sur des nappes en papier.
Il connut son heure de gloire en BD en publiant le très bel album « Rasta » sur un scénario de son ami Mouchenik, personnage génial, flamboyant et incontrôlable, terriblement sympathique, hélas disparu trop tôt. Une sorte de Brian Jones de la BD…
Mais les ventes de l’album ne suffisaient pas à vivre. Il y avait alors à Marseille une bande de copains qui s’étaient organisés pour monter une agence de création, tout en continuant à dessiner des petits Mickeys à droite et à gauche. Parmi eux l’hyper-créatif Marc Saffioti, fondateur de la revue Multa Fluunt Simulacris et papa des Kikooshis qui s’exila au Québec et nous a quittés récemment (RIP Marco), mais aussi Volny qui tenta avec quelques autres de lancer une revue BD, « Transfert», sans succès hélas.
L’agence, elle, fonctionnait bien et décrochait des contrats d’illustration avec la mairie et d’autres sociétés sérieuses de la région. C’est ainsi que, petit à petit, Ucciani (désormais père de famille) est devenu un graphiste professionnel au service des entreprises à qui il dédie son humour et son trait de crayon qui s’est affirmé au fil des années. C’est un vrai pro qui maîtrise toutes les techniques du dessin et de l’aquarelle depuis près de quarante ans. Il explique cela très bien dans cet article.
Les années ayant passé il a repris, parallèlement à son travail, le chemin d’une création plus personnelle. Il enfourche son vélo avec sa boîte de crayon et d’aquarelles sur le porte-bagages et va s’installer dans les rues de Marseille ou alentour pour peindre l’ambiance et le charme des lieux. Il se concentre sur l’architecture, mais sait aussi croquer une jolie fille sur une terrasse de café (quand ceux-ci sont ouverts et, bon sang, on a hâte qu’ils rouvrent !). C’est tellement réussi, joli, coloré, presque poétique, qu’il a réuni certains de ces croquis dans deux recueils : « Marseille balades dessinées » et « Ce n’est pas la pluie » (un reportage sur les effondrements de la rue d’Aubagne).
Voilà. Vous connaissez désormais un peu mieux l’ami Ucciani, toujours râleur et toujours plein d’humour. Il est présent dans les Lard-Frit n° 22 et 23 que je viens de rééditer récemment. Et j’espère qu’il sera de l’aventure si celle de ce magazine fourre-tout continue sous un autre format. Mais c’est une autre histoire… Oui, Seigneur, que Notre-Dame de la Garde veille sur nous…