La retraite sentimentale

La retraite sentimentale

La retraite sentimentale
Colette

Ainsi donc, il existait un cinquième volume des aventures de Claudine et personne ne m’avait rien dit ? Certes je possède l’intégrale des œuvres de Colette que j’effeuille au gré de mes boulimies littéraires sans en avoir encore tourné la dernière page. Un gâteau que je ne me lasse pas de déguster et dont je redoute d’absorber un jour la dernière miette.

Mais, en plus de cette édition en 45 volumes (un peu trop semblables les uns aux autres), j’accumule de-ci de-là au hasard de mes pérégrinations brocantesques d’autres éditions plus anciennes, plus incongrues, papiers jaunis, parfois illustrées qui portent les mots de la grande écrivaine au travers des siècles. Ce sont d’ailleurs les livres que je préfère, ceux qui lui ont été contemporains et dont elle aurait pu effleurer la couverture, voire même y déposer un mot sur la page de garde. (J’en possède au moins un signé de sa main…)

La librairie Baudinière (33 rue du Caire, Paris 3e, c’est déjà un voyage) a publié dans les années vingt une série d’ouvrages dans la collection « Les Maîtres de la plume ». On y trouvait des auteurs variés : Marcel Prévost (le polytechnicien féministe), Tolstoï, Rachilde ou Casanova. Des chefs d’œuvres édités sur un beau papier vélin grenu épais et généreux. C’est ainsi que « La retraite sentimentale » de Colette tomba entre mes mains. Et quelle surprise d’y retrouver Claudine dont j’ai lu les aventures* l’an passé avec une gourmandise d’écolier sortant de la piscine. J’étais resté avec ce petit goût d’amertume en lisant « Claudine s’en va » et fermant le volume, j’avais agité mon mouchoir comme sur un quai de gare en quittant l’héroïne écolière devenue femme et épouse de Renaud. Mais voilà qu’elle m’est rendue à nouveau et, de sept heures à dix heures ce matin, j’ai adoré faire un nouveau bout de chemin avec elle.

Cette fois, Claudine est à Casamence, chez son amie Annie, alors que Renaud soigne une tuberculose dans un sanatorium en Suisse. Les époux s’écrivent et se déclarent leur amour qui a pourtant failli voler en éclat avec l’affaire Rézi. Pour mémoire, Renaud a couché avec Rézi… et Claudine aussi, un point partout, mais ça a tout de même fait des dégâts dans le couple. Pourtant, elle l’aime profondément et sans avoir abdiqué son caractère. Renaud est bien plus âgé qu’elle et il aurait pu la soumettre ou en faire sa chose. Mais Claudine était trop forte et cette séparation l’aide à y voir clair. Elle sait maintenant à quel point elle l’a influencé et combien elle l’a changé, dans ses manières, dans ses expressions, dans sa vision de l’amour. Ça n’a pas été un voyage à sens unique : elle a pénétré Renaud jusqu’au plus profond de lui-même. Elle le dit : « Je me complais seulement à l’infiltration profonde, définitive, dont je l’ai enclaudiné. Quoi qu’il fasse désormais, et que je vive ou non, j’habite en lui. Il est venu à moi sûrement, lentement, non sans défenses et sans reprises, il est venu tout à moi ».

La voilà forte de cet amour et elle se sent supérieure à son amie Annie, divorcée et qui avoue pendant ce séjour être l’esclave de la volupté et avoir collectionné les amants par dizaines. Un aveu que Claudine lui arrache et qui la surprend. Comment, cette Annie, si simple, si effacée ? Et pourtant, aucune de ces conquêtes au prix de la chair fraîche n’a été assortie d’amour. Voilà qui fait toute la différence : les deux femmes n’évoluent pas dans la même catégorie.

Anecdotiquement, et pour pimenter le récit de cette dernière aventure, Marcel, le fils homosexuel de Renaud, criblé de dettes et poursuivi par une bande de jeunes malfrats, vient se réfugier à la campagne auprès des deux femmes : Claudine, sa belle-mère qu’il traite comme un copain et Annie, l’amie généreuse qui l’accueille bras ouverts. Les bras un peu trop ouverts d’ailleurs, car sa chair a frémi de nouveau à la vue du bel éphèbe efféminé. Annie va-t-elle coucher avec Marcel ? Renaud va-t-il sortir indemne du sanatorium ? Autant de questions que se pose Claudine en partant ramasser champignons et pommes de pin dans la campagne, suivie du très fidèle Toby-le-chien… S’il vous plaît de plonger le nez dans ce roman et d’y humer les odeurs vives des feuilles mouillées et les senteurs des émotions, vous y trouverez, vous aussi, les réponses à ces questions.

* Les quatre volumes précédents : Claudine à l’école, Claudine à Paris, Claudine en ménage, Claudine s’en va.

jllb