Femmes de
presse, femmes de lettres
Quatrième chapitre : les aventurières ou Amazones
Marie-Ève Thérenty
Éditions du CNRS
Je continue ma lecture du dense ouvrage de Marie-Ève Thérenty sur les femmes de presse, femmes de lettres. Le quatrième chapitre est riche en personnalités étonnantes…
Quatrième chapitre : les aventurières ou Amazones
Cette fois pas de sommité unique et phare dans ce chapitre, mais trois femmes plus particulièrement mises en avant : Isabelle Eberhardt, Alexandra David-Néel et Ella Maillart. Si la seconde est très célèbre, les deux autres sont à découvrir. Ces trois aventurières ont vécu des destins exceptionnels qu’elles ont relatés dans de multiples articles et dans des livres. On notera, pour l’anecdote, que mis à part Alexandra David-Néel, les deux autres sont Suisses.
Isabelle Eberhardt (1877-1904) a un véritable parcours d’étoile filante. Élevée à Genève, intelligente et polyglotte elle s’installe en Algérie avec sa mère à l’âge de vingt ans. Fascinée par ce pays, elle en adopte la religion musulmane et les coutumes. Après la mort de sa mère, elle vit en nomade et publie de nombreux articles dans les journaux locaux puis dans la presse française. Ne reculant devant aucun risque elle fréquente des rebelles, voyage seule ou avec des tribus nomades, à pied ou à dos de chameau. Elle se déplace aussi avec les hommes de la Légion étrangère dont elle décrit le mode de vie. Et, contre la volonté de la hiérarchie militaire, elle épouse Slimane Ehni, musulman de nationalité française et spahi dans l’armée. Mais leur idylle est de courte durée. En octobre 1904, alors qu’ils bivouaquent dans le village d’Aïn Sefra, l’oued submerge le village. La maison dans laquelle ils dorment s’effondre sur eux. Slimane s’en sort, mais on retrouve le cadavre d’Isabelle sous les décombres. Morte à 27 ans, elle laisse de nombreux récits de ses déplacements en Algérie.
Les exploits d’Alexandra David-Néel (1868-1969) sont connus. Elle est la première femme à être entrée à Lhassa, capitale du Tibet et à avoir rencontré le Dalaï-lama. On connaît moins sa jeunesse en Belgique où son père, opposant à Napoléon III s’était réfugié avec sa famille. Alexandra reçoit une éducation sévère dans un couvent calviniste. Son père est ami avec Élisée Reclus, historien communard dont elle fait connaissance. Il contrebalance la rigueur de son instruction et l’initie aux idées anarchistes et féministes. Elle commence à écrire et devient collaboratrice de La Fronde de Marguerite Durand (journal évoqué dans le chapitre précédent). À 21 ans, elle se convertit au bouddhisme. Elle étudie aussi le piano et le chant et devient… première chanteuse de l’opéra d’Hanoï de 1895à 1897 ! En 1900, à Tunis, elle épouse un cousin éloigné, Philippe Néel, ingénieur des chemins de fer. Il l’aide à organiser et financer ses voyages et, en particulier son grand périple en Inde et au Tibet de 1911 à 1925.
Ella Maillart (1903-1997), jeune sportive suisse, prend le goût des voyages en participant à des championnats internationaux (ski, hockey, voile). Téméraire, elle se lance dans le reportage photographique et littéraire, en voyageant d’abord en Russie puis en Asie. Totalement en dehors de la chose politique, elle ne s’intéresse qu’aux gens et aux modes de vie. Quand elle fera des conférences sur la Russie soviétique, elle sera incapable de répondre aux questions concernant le régime soviétique que les Occidentaux sont avides de découvrir. Ayant vécu jusqu’à l’âge de 101 ans, elle laisse une œuvre photographique impressionnante qui est conservée à la bibliothèque de Genève.
Dans le reste de ce chapitre, Marie-Ève Thérenty présente sommairement de très nombreuses femmes aventurières et reporters dont elle nous donne envie de découvrir un peu plus le parcours. Je citerai Annemarie Schwarzenbach (1908-1942) autre écrivaine et photographe suisse, amie d’Ella Maillart et connue pour ses engagements antifascistes. Androgyne, elle cultive une allure de jeune garçon. L’écrivaine américaine Carson McCullers tombe follement amoureuse d’elle et lui dédie un livre. Morphinomane, Annemarie Schwarzenbach meurt à 34 ans d’un accident de vélo.
Titaÿna (1897-1966), née Élisabeth Sauvy, est une autre de ces femmes à la fois exploratrices et reporters. Féministe, belle et rebelle, elle travaille comme journaliste pour de grands titres parisiens : Vu, Voilà, l’Intransigeant ou Paris-Soir. Elle réalise des voyages audacieux en Afrique, en particulier chez les cannibales, dont elle tire des articles et un livre : « Chez les mangeurs d’hommes ». Elle se met volontiers en scène, pilotant son propre avion. À l’approche de la guerre, elle interviewe des personnalités importantes, dont Mussolini et Hitler. Ce que Marie-Ève Thérenty ne raconte pas est moins glorieux. Devenue antisémite et raciste, elle collabore pour différents journaux pro-nazis pendant l’Occupation. Accusée et déchue de la nationalité française, elle s’exile aux États-Unis où elle finit sa vie comme une paria.
D’autres aventurières sont présentées dans ce chapitre qui donne envie d’en savoir plus : Marie-Édith de Bonneuil, Odette de Puigaudeau, Hélène Gordon ou Yvonne Schultz… À l’occasion, je ferai des recherches plus poussées sur ces personnalités intéressantes.