Pierre Suragne
Fleuve Noir N°519
Je serai bien incapable de dire depuis combien de temps je n’avais pas lu un livre de science-fiction. Mais je viens de remettre ça, cette semaine.
Dans les années quatre-vingt, j’ai travaillé comme lecteur pour la collection « Présence du Futur » chez Denoël, qui était dirigée par Elisabeth Gille. À cette époque, j’étais totalement fondu de SF et j’avais dévoré la plupart des auteurs anglo-saxons et hexagonaux.
« Présence du Futur » bénéficiait d’une aura de qualité, tout comme la collection « argentée » de Robert Laffont. « Le Fleuve Noir », qui publiait de la SF depuis le début des années cinquante dans sa collection « Anticipation » s’est trouvé ringardisé par l’arrivée de ces nouvelles séries et de ces éditeurs qui prétendaient (parfois à juste titre) faire œuvre littéraire. Il faut reconnaître que le Fleuve Noir était alors une machine industrielle, peu regardante sur la qualité des textes, publiant mensuellement dans divers domaines ce qu’on appelait des « romans de gare » : le policier, l’espionnage, l’anticipation, mais aussi le western et même le charme (avec la collection « flamme rouge » qui n’a édité que très peu de titres).
Dimanche dernier, dans un vide-grenier, je suis tombé sur ce livre de Pierre Suragne (l’un des pseudonymes de Pierre Pelot), publié en 1972, donc quelques années avant la nouvelle vague littéraire de SF. J’ai voulu lire ce que Pierre (dont je vais parler dans un autre article) publiait à l’époque. « Mal Iergo le dernier » n’est peut-être pas un chef-d’œuvre, mais ça n’est pas non plus un livre ringard, loin de là. Mal Iergo est l’un des derniers survivants de la planète Pha, mi-homme, mi-insecte. Il n’a pas de squelette, mais une carapace. Pourtant son allure et sa psychologie sont celles d’un être humain. Poursuivi par des Targanéens à cause d’une dette de jeu qu’il n’a pas honorée, il est sauvé par Fayol Rhaa qui lui propose de travailler pour lui. Fayol est détenteur d’une carte secrète et veut se rendre dans une zone très irradiée pour y récupérer un trésor enfoui par une civilisation disparue. Attiré par l’appât du gain, Mal Iergo, qui ne craint pas les radiations du fait de sa carapace d’insecte, accepte la mission. Mais il va rapidement comprendre que Fayol Rhaa lui a menti. Qu’il n’y a pas de trésor au bout du chemin, mais quelque chose de bien plus important (dont on ne découvre la nature qu’à la fin du roman, suspense oblige, je ne spoile pas).
La facture est classique, l’écriture bien rythmée et l’on se trouve plus dans un roman d’aventures que dans un livre de réflexion sur l’avenir du monde. Quoique… Pierre introduit dans son récit quelques idées qu’on aurait aimé lui voir développer. Mal Iergo, par exemple, est mi-homme, mi-insecte et sa civilisation a quasiment disparu. Pourquoi ? Parce qu’avant de muter, lorsqu’ils étaient complètement insectes, le corps social l’emportait sur l’individu et la communauté s’en trouvait solide (on pense aux fourmis, aux abeilles, etc.). Puis, en se mélangeant avec l’humain et en mutant vers ces nouvelles créatures, l’esprit individualiste des humains l’a emporté sur l’esprit communautaire des insectes… et leur civilisation s’est effondrée. Belle parabole à mettre en parallèle avec nos sociétés actuelles où l’individualisme prend de telles proportions que la solidarité finit par disparaître et fragilise l’ensemble de nos communautés. On le voit, la SF a souvent été une littérature allégorique mettant en exergue les qualités et les défauts de notre monde du présent.