On n’y échappe pas
Boris Vian — Oulipo
Fayard
Attention pépite sentimentale. « On n’y échappe pas » est le dernier roman de Boris Vian à n’avoir jamais été publié. Vous ne rêvez pas, c’est donc un inédit ! Je répète : un INÉDIT !
Enfin presque… J’explique. Dans les années cinquante, Boris Vian tire le diable par la queue. Les temps sont durs, il faut croûter et le métier d’écrivain, sauf exception, n’est pas la meilleure voie pour accéder au temple de la bonne fortune. « La Série Noire », collection de polars éditée par Gallimard et drivée de main de maître par Marcel Duhamel connaît un grand succès. Vian, dont les premiers policiers ont été publiés par « Le Scorpion » (maison d’édition créée par Jean d’Halluin) décide de se lancer dans un projet pour La Série Noire. Il pond un synopsis à la va-vite et écrit les quatre premiers chapitres du roman. Puis, il passe à autre chose… et ne terminera jamais l’affaire. Le dossier de cet embryon a été précieusement conservé par les co-héritiers de Vian (on parle de « cohérie ») qui ont confié à l’association de l’Oulipo le soin et l’honneur d’en achever le récit. Pour mémoire, l’Oulipo (Ouvroir de Littérature Potentielle) est une association d’écrivains issus du mouvement surréaliste dont les membres les plus éminents furent Raymond Queneau et Georges Pérec. L’Oulipo est actuellement présidée par Hervé Le Tellier.
Ce collectif a donc, anonymement (les auteurs ayant participé au projet ne sont pas nommés), assuré l’écriture des douze chapitres permettant de boucler une fois pour toutes ce texte. On le sait, Boris Vian aimait se cacher derrière des masques. Il signait ses polars pseudo-américains du domino de « Vernon Sullivan » et prétendait, lui, Boris, en être le traducteur en français. « On n’y échappe pas »… n’échappe pas à la règle. L’intrigue déroule ses filaments dans l’Amérique des années cinquante. Franck Bolton, jeune colonel de l’US Army, revient chez lui après la guerre de Corée, avec une main en moins. Estropié donc, mais plus vivant que son frangin qui a été descendu par la DCA de Nagasaki lors de la guerre précédente… Il retrouve sa famille à Black River, son père, sa mère, sa plantureuse et veuve belle-sœur, le vieux domestique, pour constater avec effroi qu’un mystérieux assassin s’ingénie à tuer la cohorte des petites amies qu’il a laissées derrière lui en partant au combat. Qui donc peut en vouloir ainsi aux ex de Franck Bolton, au point de les torturer et de les assassiner de la pire des manières ?
Tous les codes du polar américain sont présents : belles filles, humour, bagarres, scène de sexe, whisky à gogo, machisme débridé. Ajoutez à cela une foultitude de références au jazz et au cinéma de l’époque. Je me suis régalé. D’autant, je l’avoue, que la greffe des douze chapitres manquants est très bien réussie (hormis quelques couacs de concordance des temps…). Les petits gars ont trimé dur pour se glisser dans la peau de l’auteur, devenir des doubles de lui-même, et ça coule… comme de l’eau des Vian. Ils se sont ingéniés à multiplier les références et les clins d’œil que les fans des années cinquante apprécieront. L’éditeur nous offre quelques cadeaux en prime : le fac-similé du synopsis de Vian et la façon dont les auteurs de l’Oulipo ont travaillé pour nous servir cette pépite. Enfin, cerise sur le gâteau, Fayard a confié à Clémentine Mélois le soin de créer une couverture dans l’esprit de celle des éditions du Scorpion (qui, elles, avaient été conçues par Jean Cluseau-Lanauve). Bref, une petite merveille, même si tout ça ne reste qu’un simple polar…
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